Paul Dombrecht nous rend une Passion selon Saint-Luc  de Homilius, adaptée par CPE Bach 

par

Carl Philipp Emanuel BACH (1714-1788) : Passion selon Saint-Luc, adaptation d’une Passion de Gottfried August HOMILIUS (1714-1785). Caroline Weynants et Amélie Renglet, sopranos ; Clint Van der Linde et Rob Cuppens, altos ; Reinoud van Mechelen et Thibaut Lenaerts, ténors ; Huub Claessens et Lieven Termont, basses ; Il Fondamento, direction Paul Dombrecht. 2020. Notice en néerlandais, en français, en anglais et en allemand. Textes de la Passion en allemand. 76.05. Passacaille PAS 1052.

« La passion selon saint Luc enregistrée semble un hommage de Bach à Homilius, même si le livret ne dit mot de la contribution d’Homilius. Au contraire, la page de titre fait penser que toute la passion est l’œuvre du Musik Direktor. Même à une époque où les droits d’auteur n’en étaient qu’à leurs débuts, c’est peu correct à l’égard du compositeur original. Ce manque de respect est d’autant plus fort quand on constate que les interventions de Bach sont relativement limitées. La plupart de celles-ci s’imposaient pour permettre aux musiciens dont il disposait à Hambourg d’exécuter l’œuvre », explique la notice de Johann Eeckeloo (notice par ailleurs si mal imprimée et en caractères si petits qu’il faut une loupe pour la lire !). Ce « piratage » éhonté qui n’ajoute rien à la gloire de Carl Philippe Emanuel Bach nous permet cependant d’avoir accès, en cette période de Pâques placée sous le signe du confinement, à une belle partition qui, selon le même texte, « n’aurait plus été interprétée depuis 1775 ». Il est rappelé aussi dans cette présentation bien documentée que CPE Bach fut astreint à présenter une passion pendant vingt et un ans, qu’il était coutumier des difficultés à respecter les temps impartis, et que l’exécution n’en avait pas lieu lors d’un service spécial, mais pendant l’office religieux, ce qui la limitait dans la diffusion. On peut accorder à CPE Bach des circonstances atténuantes, dans la mesure où cette exigence annuelle était bien lourde et où l’audition de la partition était aléatoire. 

Bach a donc puisé sans vergogne dans l’œuvre de Gottfried August Homilius, organiste et compositeur qui étudia avec Jean-Sébastien Bach et devint titulaire de l’orgue de la Frauenkirche de Dresde et Musikdirektor dans la même cité, après avoir terminé sa formation à Leipzig. Même s’il n’est pas abondamment fréquenté, Homilius est cependant accessible sur disques à travers ses oeuvres pour orgue (intégrale de Felix Marangoni en 2015 chez Brilliant), sa Passion selon Saint Marc (première mondiale en 2012 par l’Arpa festante, direction Fritz Näf chez Carus), quelques motets ou cantates, gravures qui confirment ses qualités de créateur. C’est à la Singakademie de Berlin que se trouve le manuscrit anonyme de la présente Passion comportant des annotations de CPE Bach ; le travail effectué par des chercheurs américains sur un livret imprimé a permis la reconstitution et l’attribution à Homilius. Grâce soit rendue à ces musicologues, ainsi qu’à toute l’équipe de Paul Dombrecht, qui nous rendent si attachante cette partition qui comporte des arias, des chœurs et des chorals d’une grande portée expressive sur le plan de la foi religieuse et de l’émotion qui en découle.

Dans la continuité de ce qui a été évoqué plus avant, à savoir la durée limitée de l’exécution dans le cadre d’un office religieux, cette Passion débute avec la scène du Mont des Oliviers. Les chorals, les récitatifs et les airs alternent dans un climat où les couleurs instrumentales sont bien définies, avec des interventions des flûtes, des hautbois ou des bassons qui relancent un discours qui, comme le précise encore la notice, est dans la ligne de l’Empfindsamkeit, amorçant le passage du baroque au classicisme. Le tout est riche en termes de méditation et d’insertion de mélodies qui ne négligent pas l’apport populaire. La mise en place, chœurs compris, de l’effectif d’Il Fondamento par Paul Dombrecht est impeccable, l’intérêt de l’audition ne faiblissant jamais. Le plateau des solistes du chant est tout aussi en phase. Bach a fait quelques modifications ou suppressions de manière à adapter l’exécution à Hambourg aux forces dont il disposait, par exemple dans le passage d’un registre vocal à un autre. Les huit interprètes sont à saluer comme ils le méritent : ils servent cette partition avec une rigueur et une ferveur qui touchent. On notera la noble présence de Reinoud van Mechelen en Evangéliste. Curieusement, cette Passion ne nous parvient qu’après quelques années d’attente : l’enregistrement date de juillet 2013 et il a été effectué, dans une belle prise de son bien équilibrée, en la chapelle Saint-Vincent de Gijzegem, qui fait partie de la commune d’Alost. Il est en tout cas plus que bienvenu !

Son : 9  Livret : 7  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.