Les Fantaisies pour viole de Purcell élucidées par le Chelys Consort

par

Henry Purcell (1659-1695) : Fantazias & In Nomine Z.732-747 ; Rondeau en si bémol majeur & Chaconne [de The Fairy Queen] ; Two in one upon a Ground [de Dioclesian] ; Chaconne en sol mineur Z.730. Chelys Consort of viols. Ibrahim Aziz, dessus de viole. Alison Kinder, dessus et viole alto. Kate Conway, Sam Stadlen, ténors et basses de viole. Jennifer Bullock, basse de viole. Emily Ashton, Harry Buckoke, ténors de viole. Août 2019. Livret en anglais, allemand, français. TT 62’40.  BIS-2583

Après son fleurissement sous les règnes d’Elisabeth I, Jacques I et Charles I, la musique pour chest of viols changeait de mode quand un Purcell d’à peine vingt ans écrivit ce bouquet de Fantazias et d’In Nomine sur cantus firmus. Cette collection s’inscrit dans la transition entre les ères caroline et caroléenne. Charles II préférait les pièces entraînantes et mélodieuses, goûtant peu ces exercices contrapuntiques auxquels le jeune Henry rendit un ultime hommage, dans une sorte de chant du cygne qui renvoie à l’art de Matthew Locke (c1621-1677). L’archaïsme de l’écriture fuguée se plie toutefois à une émouvante expression qui reflète les Cours du temps (rythme pointé de l’Ouverture à la Française) autant que la manière italienne. Le programme de ce disque invite aussi des pages tirées du théâtre (The Fairy Queen et Dioclesian) ainsi qu’une Chaconne probablement à l’intention de la famille des violons, mais ici jouée sur les violes.

Dans le livret, Ibrahim Aziz pose d’ailleurs ouvertement la question de la nomenclature instrumentale des Fantazias au regard de la tessiture des partitions : un dilemme qu’il a tranché par l’inclusion d’une viole alto. On se souviendra que le vinyle du London Baroque (Emi, avril 1983) empruntait une solution mixte (violons et violes), alors que cet ensemble de Charles Medlam renoncera tout bonnement aux violes au profit d’un panel de violons, altos et violoncelles dans son remake de 2010 pour le label BIS. Une facture alternative qu’endossèrent aussi Bruno Cocset et ses Basses Réunies (violons, ténors et basses de violon), enrôlant même un clavecin, celui de Bertrand Cuiller (Agogique, 2012). Avant l’enregistrement longtemps attendu de Jordi Savall (Astrée, 1994), la discographie de ces Fantaisies était dominée depuis une trentaine d’années par les rugueuses sessions viennoises du Concentus Musicus de Nikolaus Harnoncourt (Vanguard Bach Guild), puis se vit abonder par les CD des ensembles Phantasm de Laurence Dreyfus (Simax, 1995) et Fretwork (Harmonia Mundi, 2009).

Rien qu’à citer ces éminentes contributions, autant dire que la concurrence reste rude pour le Chelys Consort, même si l’équipe n’en est pas à son coup d’essai dans le répertoire de la Maison Stuart, depuis son premier album pour le label suédois, consacré en 2013 à Christopher Simpson (c1602-1669), suivi par A Pleasing Melancholy (2017) et Amavi dédié au rare Michael East (1580-1648). L’interprétation se distingue par la clarté du jeu en imitation, sa transparence et sa vitalité, nettement découpée (les attaques, les extinctions de phrase), qui ne s’appesantit pas dans les méandres polyphoniques et ne s’amollit dans aucune langueur, même pour les étranges lueurs au début de la Z. 736 en si bémol majeur. Les introductions lentes luisent sans s’obscurcir, réfractaires à la contemplation, et l’on sent le geste vite magnétisé vers les sections mobiles. Malgré la subtilité des nuances dynamiques, aurait-on souhaité une aurore plus inquiète et ombrée pour la Z. 740 en la mineur ?, davantage de dénuement dans le fragment Z. 734 en sol mineur ?, que le disque a le mérite d’inclure.

Emily Ashton et Harry Buckoke prêtent leur concours aux pièces à six et sept violes, rappelant que Purcell avait peut-être ambitionné de poursuivre ses recherches vers une polyphonie encore plus ambitieuse. On y aurait admiré le regard élucidant du Chelys Consort qui en l’état offre de ce recueil une cartographie épurée sans secours d’affect ni excès de caractérisation, scrutée par une captation au rasoir. Ce drapé de statuaire aurait mérité que la variété rythmique vienne dramatiser un discours qui reste trop lisse pour nous combler.

Son : 9,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

 

 

 

 

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