Jean-Luc Thellin, à propos de l’intégrale des oeuvres pour orgue de César Franck 

par

L’organiste Jean-Luc Thellin fait l’évènement avec une intégrale des oeuvres pour orgue de César Franck enregistrée entre Liège et Bécon-Courbevoie près de Paris. Cette somme propose également des versions pour orgue de la Symphonie en ré mineur et des Variations symphoniques. A l’occasion de la sortie du coffret discographique chez BY Classique et en prélude à une série de concerts, Crescendo s’entretient avec Jean-Luc Thellin,

Que représente pour vous l'œuvre pour orgue de César Franck ? Quelles sont ses spécificités dans l’histoire de la littérature pour orgue du XIXe siècle ?   

L’œuvre de César Franck est unique dans l’histoire des répertoires d’orgue. De tout temps, on a pu observer des chocs évolutifs dans les Arts en général et dans la musique en particulier. Il faut reconnaître qu’avant les années 1840, le paysage compositionnel français de l’orgue est relativement pauvre. César Franck va, sans réellement sans rendre compte, révolutionner la pratique de l’orgue, de l’improvisation mais également de la composition. Un langage riche, harmoniquement technique et travaillé qui n’existait pas jusque là va prendre place grâce à lui.

Franck va également donner une place « orchestrale » à l’orgue de par le traitement de la densité du discours mais également par la volonté d’associer les plans sonores et les couleurs aux différents plans d’un grand orchestre, ce qui est nouveau dans le répertoire du 19e.

Est-ce qu’il y a des exigences techniques et musicales spécifiques pour rendre toutes les facettes des partitions pour orgue de César Franck ?  

La particularité des œuvres pour Grand orgue de Franck est que techniquement nous nous trouvons dans un contexte « d’anti-virtuosité ». Franck a radicalement contrasté son approche entre ses œuvres pour piano qui restent très virtuoses et son œuvre pour orgue qui va à l’opposé de cette virtuosité pour tirer vers une intériorité quasi omniprésente. Les exigences techniques seront à mon sens basées ici autour de la technique du legato, de la recherche du souffle dans la phrase et surtout de la technique de gestion et maîtrise de la boîte expressive qui joue un rôle primordial chez César Franck.

Pouvez-vous nous parler des instruments choisis pour cette intégrale ? Pourquoi avez-vous choisi spécifiquement ces 2 instruments ? 

Le choix des instruments fut à la fois complexe et évident. Mon idée première étant de retracer le voyage de Franck de Liège à Paris, il était primordial pour moi d’enregistrer une partie de ce disque sur un instrument liégeois. L’orgue de la Salle Philharmonique de Liège étant particulièrement adapté pour l’exécution du répertoire symphonique et plus précisément des transcriptions, le choix fut évident concernant les transcriptions de la Symphonie en ré mineur et des Variations Symphoniques.

Concernant l’instrument choisi pour les 12 pièces, le problème principal était que nous ne connaissons malheureusement pas de sources audio de l’orgue originel construit par Cavaillé-Coll pour César Franck à la Basilique Sainte Clotilde de Paris. Nous savons que c’était un instrument unique et tout à fait particulier dans la production de Cavaillé-Coll. Doux, coloré, avec des équilibres d’anches uniques entre le grand orgue et le positif. 

Il fallait donc un orgue relativement atypique et le hasard m’a fait penser à l’orgue de l’église de Bécon-Courbevoie. Sa conception unique avec 2 plans sonores expressifs lui confère des possibilités de nuances absolument incroyables qui permettent de travailler sur la couleur, la profondeur et la densité de la pâte sonore d’une manière unique.

Après quelques minutes le choix était donc là aussi évident.

Le fait de choisir un instrument en Belgique et un autre en France était volontairement un hommage à Franck ou ce fut un hasard basé sur une décision purement musicale ? 

Le choix d’un instrument belge et un autre français était bien évidemment voulu. J’ai souhaité mettre en avant non seulement le voyage de Liège à Paris entrepris par Franck, mais également les différentes connexions qu’il y a entre les deux villes. L’instrument de la Salle Philharmonique de liège permet de mettre en avant les contrastes d’écritures des pages symphoniques, pianistiques, représentant un autre visage, notamment du jeune Franck brillantissime pianiste.

L’instrument de Bécon met en avant l’autre grande image du Pater seraphicus, sage, posé, intérieur,…. De multiples facettes qui sont pour moi indissociables les unes des autres.

 Vous ajoutez à cette intégrale la Symphonie en ré mineur et les Variations symphoniques pour piano et orchestre dans des transcriptions pour orgue. Pourquoi ce complément symphonique aux œuvres originales pour orgue  ? En quoi ces deux œuvres sont bien servies par ces transcriptions ? 

Les 12 pièces pour grand orgue sont un pilier du répertoire pour orgue mais ne représentent qu’une facette de la personnalité musicale de César Franck. Étant passionné de transcriptions, je suis un jour tombé sur une transcription de la Symphonie en ré mineur et, en la feuilletant, j’ai été frappé à quel point cette écriture était organistique. Nous connaissons toutes et tous le côté peu aisé de jouer des réductions pour piano d’Arias de cantates de Bach, visiblement pas pensées pour clavier.

Mais ici, tout dit évident et je ne peux m’empêcher de croire que César Franck, qui passait beaucoup de temps à improviser, esquisser à l’orgue, a esquissé cette symphonie à l’orgue, tout y sonne tellement naturellement, surtout le second mouvement.

On y découvre une écriture incroyablement riche, beaucoup plus libérée que dans les œuvres pour orgue. Plus osée, plus opératique également.

Le site de Jean-Luc Thellin : www.jeanlucthellin.com

  • A écouter :

César Franck : intégrale des oeuvres pour orgue. Jean-Luc Thellin, orgue. 1 coffret de 4 CD BY Classique

 

 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques :  Gwenny Eeckels

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.