Fin de l’intégrale de l’opus 76 de Haydn par le coruscant Quatuor Chiaroscuro 

par

Franz Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuors à cordes op. 76 n° 4 à 6. Quatuor Chiaroscuro. 2018. Notice en anglais, en allemand et en français. 59.34. SACD BIS-2358.

Fondé en 2005, le très international Quatuor Chiaroscuro (la Russe Alina Ibragimova et l’Espagnol Pablo Hernán Benedí aux violons, la Suédoise Emilie Hörnlund à l’alto et la Française Claire Thirion au violoncelle) s’est fait remarquer dans de superbes interprétations, sur instruments d’époque avec cordes en boyau, de pages de Mozart, Beethoven, Schubert ou Mendelssohn. Haydn est venu compléter la série chez BIS avec les six quatuors de l’opus 20  et les trois premiers de l’opus 76. Ce cycle est désormais complet avec les trois derniers numéros de cette série publiée à Vienne et à Londres en 1799 et 1800. 

Les références ne manquent pas pour ces partitions dont la notice précise qu’elles partagent la profondeur et la popularité des symphonies « londoniennes » de Haydn et des quatuors qu’il a composés à Londres, c’est-à-dire ceux qui font partie des opus 71 et 74. On citera pour l’opus 76 -liste non limitative- les Quatuors Amadeus, Tatrai, Doric, Mosaïques, Berg, Takacs, Kodaly, Panocha, Orlando… sans oublier le Quatuor de Budapest ni celui du Wiener Konzerthaus. Une moisson abondante et souvent riche en traductions musicales de qualité. C’est dire si le pari de la nouveauté est à relever, ce qu’accomplit remarquablement le Quatuor Chiaroscuro qu’un magazine britannique -c’est encore la notice qui le rappelle- a qualifié de « pionnier de l’interprétation authentique de la musique de chambre ». Nous emboitons volontiers le pas à cet avis, largement documenté ici grâce à une dynamique profondément incisive, un jeu qui sait se révéler souple et gracieux et une inventivité coruscante, pleine de feu et d’exaltation, ou de méditation et de lyrisme mûr quand il convient de mettre en évidence les caractéristiques de ces pages fascinantes.

Le Quatuor n° 4, dont le sous-titre Sunrise, ajouté plus tard au XIXe siècle, est évocateur d’un début à l’harmonie extatique, amené par le premier violon, se déroule dans une atmosphère que le Quatuor Chiaroscuro (terme qui ne se traduit pas par hasard de l’italien par « clair-obscur ») anime avec un tempo mesuré, ce qui n’empêche pas la brillance et la force de l’élan du discours de cet Allegro con spirito. On qualifiera de religieuse la portée de l’Adagio méditatif qui suit. Le Menuetto est bien ancré dans son trio rustiquement « balkanique » ; quant à l’Allegro final, qui débute par un rondo et s’achève dans la frénésie, il montre à quel point les quatre solistes ont une qualité d’écoute mutuelle d’une grande intensité complice.

Cette même qualité abonde dans les Quatuors n° 5 et n° 6. Pour le premier, changement de climat dès l’Allegretto qui passe de la spontanéité au dépouillement, avant un Largo d’une beauté intemporelle qui engendre une émotion quasi mystique. Mais Haydn sait aussi se détendre et même s’amuser dans un Menuet au contexte populaire, tremplin pour se lancer dans un Presto vif et endiablé qui soulève l’allégresse. Elle est presque palpable ici, comme l’est tout autant la capacité du Quatuor Chiaroscuro à souligner des sensations comme l’esquisse de l’inquiétude, ou à maîtriser la complexité de l’harmonie pour la rendre naturelle. Dans le Quatuor n° 6, où l’on découvre, après le premier mouvement qui tisse un thème et des variations qui vont se déployer dans des rythmes souples, un Largo absolument sublime, qui est le triomphe de la liberté absolue obtenue au prix de la plus stricte discipline et d’une recherche de tous les instants, comme l’écrit si justement Marc Vignal dans sa biographie consacrée à Haydn chez Fayard en 1988 (p. 1356). La notice évoque de son côté une polyphonie tranquille et raréfiée qui se tourne vers Bach tout en annonçant les derniers quatuors de Beethoven. Avec le Menuet savoureusement espiègle et l’Allegro spiritoso final au cœur duquel le rythmicien fait merveille, on savoure des pages éblouissantes que le Quatuor Chiaroscuro anime avec saveur et hédonisme. 

On l’a compris : ces trois quatuors de l’opus 76 sont une réussite totale sur le plan interprétatif. Ils le sont aussi au niveau de la prise de son, effectuée en janvier 2018 (trois ans d’attente pour jouir d’un tel joyau !) en Bavière, dans la Reitstadel de Neumarkt. Cet album BIS est d’une transparence enivrante qui participe pleinement au plaisir de cette musique inspirée.

Son : 10    Livret : 10    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix    

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.