Les Takács servent superbement des quatuors tardifs de Haydn

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Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuor à cordes en ré mineur op. 42 ; Quatuors op. 77 n° 1 en sol majeur et n° 2 en fa majeur ; Quatuor à cordes en ré mineur op. 103. Quatuor Takács. 2021. Notice en anglais, en français et en allemand. 72.39. Hyperion CDA68364.

Il y a un an, nous avons salué le premier album, chez Hyperion, de la composition « modifiée » du Quatuor Takács. Des changements sont inévitablement intervenus depuis la fondation, par des élèves de l’Académie Franz Liszt de Budapest en 1975, de cet ensemble basé aujourd’hui au Colorado. Le violoncelliste hongrois András Fejér (°1955) est là depuis le début de l’aventure. En 1993, le premier violon Gábor Takács-Nagy a été remplacé par l’Anglais Edward Dusinberre (°1968). Le second violon, Harumi Rhodes (°1979), qui a des racines japonaises, américaines, russes et roumaines et est originaire du New Jersey, a rejoint les deux précités en 2018. Quant à l’altiste américain Richard O’Neill (°1978), il est venu compléter le quatuor il y a deux ans. 

L’album enregistré en 2020, consacré à des pages des Mendelssohn frère et sœur (notre article du 21 octobre 2021), avait largement mérité son Joker absolu. L’éblouissement venait tout autant de l’homogénéité de la nouvelle équipe que de ses qualités expressives et de l’équilibre entre les pupitres, qui se manifestait par de la fraîcheur, un sens du discours affirmé et des rythmes bien dessinés. On attendait donc avec impatience le second album annoncé comme étant voué à Haydn. Le voici, et le résultat est à la hauteur des espérances. Les deux vastes partitions qui composent l’opus 77, publié en 1802, sont encadrées par le Quatuor op. 42, édité en 1785, et par les deux mouvements de l’opus 103, inachevé (un peu plus de dix minutes), qui parut à Leipzig chez Breitkopf et Härtel en 1806.

Ce qui apparaissait comme une évidence dans le Mendelssohn de l’an dernier, à savoir un dynamisme inventif, une clarté des nuances et une hauteur de vues, se manifeste tout autant dès l’opus 42 qui ouvre le programme. En 1784, Haydn se mit à l’ouvrage pour des quatuors de dimension réduite, commande d’un mécène espagnol dont il ne demeure pas de trace, en dehors de ce « petit format » qui en faisait probablement partie. On savoure tout particulièrement dans ce concentré le pensif Andante ed innocentemente avant un Menuet aux couleurs élégantes, puis un Adagio e cantabile à la mélodie sereine, et un Presto final jaillissant. A l’autre bout de l’affiche, on trouve l’opus 103, que Haydn n’entama qu’en 1802 après Les Saisons et La Création qui lui avaient demandé beaucoup d’énergie les années précédentes ; ce quatuor demeura incomplet, d’autant plus qu’au même moment, le compositeur s’attelait à l’écriture de son Harmoniemesse. C’est sans doute l’excès de fatigue qui empêcha la finition. Mais ce qui en subsiste révèle une créativité toujours active, ce que ne manque pas de souligner Richard Wigmore dans sa notice circonstanciée. Un Andante grazioso, qui se partage entre sourire esquissé et mélancolie dévoilée, précède un Menuetto-Trio, ample et tendre à la fois.

Haydn avait cependant commencé en 1799 une série de nouveaux quatuors destinés au Prince Lobkowicz, mais il ne put en achever que deux, qui forment l’opus 77. La lourde tâche des grands oratorios précités l’empêcha d’aller plus loin. Ces partitions magnifiques forment le cœur du programme. Dans le premier, dès le rythme initial, on est pris par l’atmosphère variée des tonalités comme par le côté tranchant, quasi percutant, que lui insufflent les Takács. Ceux-ci soulignent les mélodies avec une aisance complice qui trouve son apogée dans le troisième mouvement mené avec fougue, avec son premier violon qui nargue des hauteurs très aigües, dans une tension de chaque instant. La polyphonie domine l’opus 77 n° 2, avec sa chaleur harmonique et sa densité expressive, pour atteindre, dans le superbe Andante, vrai chef-d’œuvre, une capacité dramatique qui laisse rêveur.

On l’aura compris : les Takács ajoutent à l’univers discographique des quatuors haydniens ces bijoux ciselés avec un art délectable, que l’on placera devant leur témoignage des mêmes opus 77 et 103, chez Decca en 1991, gravés par l’équipe alors constituée. 

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

 

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