Bruckner au concertgebouw d’Amsterdam

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Anton Bruckner (1824-1896) : Intégrale des symphonies n°1 à n°9. Royal Concertgebouw Orkest, direction : Bernard Haitink (symphonies n°1 et n°7) ; Riccardo Chailly (n°2 et n°9) ; Kurt Sanderling (n°3) ; Klaus Tennstedt (n°4) ; Eugen Jochum (n°5) ; Mariss Jansons (n°6) ; Zubin Mehta (n°9). Enregistré en concert entre 1972 et 2006. Livret en anglais et néerlandais.  9 CD RCO 23001. 

En prélude des 200 ans de la naissance d’Anton Bruckner, l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam propose un coffret hommage sur le modèle de celui consacré aux symphonies de Beethoven. Cette parution accompagne une intégrale donnée au Concertgebouw sur les saisons 2023/2024 et 2024/2025. Ce coffret reprend des captations de concerts, toutes inédites à l’exception de la Symphonie n°5 sous la baguette d’Eugen Jochum éditée un temps par le label Tarha. 

Tout comme avec les symphonies de Mahler, la phalange amstellodamoise peut se targuer d’une longue tradition qui commence dès la fin du XIXe siècle et qui s’est intensifiée dans la seconde moitié du XXe siècle avec les concerts et les disques gravés par ses directeurs musicaux Eduard van Beinum, Bernard Haitink et Riccardo Chailly. Dès lors, on ne sera pas surpris de retrouver Haitink et Chailly à plusieurs reprises dans ce coffret. La boîte laisse également une place à des chefs invités de l’on associe beaucoup (Eugen Jochum) ou moins (Kurt Sanderling) à l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam. Des moments importants de la vie de l’orchestre sont ainsi documentés : le dernier concert d’Eugen Jochum à Amsterdam (1986) et les débuts de Zubin Mehta (2005).  Notons enfin que ce coffret ne doublonne pas avec les autres parutions du label de l’orchestre : d’autres gravures issues des fonds de la radio et consacrées à Mariss Jansons, Bernard Haitink ou Nikolaus Harnoncourt ne sont pas reprises ici. Le mélomane peut donc acheter cette intégrale sans prendre le risque d’avoir des doublons dans sa collection. C’est déjà une excellente réflexion éditoriale !   

Penchons-nous maintenant sur le contenu. Le coffret commence avec une lecture engagée et dynamique de la Symphonie n°1, enregistrée sous la direction de Bernard Haitink en 1972. Cette captation précède de quelques semaines l’enregistrement du chef dans le cadre de son intégrale pour Philips. Si l’interprétation possède l’énergie du concert, le son radio est hélas inférieur à celui de la version studio. Riccardo Chailly a toujours été à son aise avec la Symphonie n°2 à laquelle il confère une sensibilité et une lumière latines. S’il a gravé une lecture quasi-définitive en studio pour Decca, il est plus incisif et plus rapide lors de ce concert de 1990 (qui lui aussi est proche de l’enregistrement studio). L’énergie du concert galvanise les pupitres pour cette lecture enthousiasmante. La Symphonie n°3 était l’un des chevaux de bataille de Kurt Sanderling et on se souvient d'avoir entendu des concerts mémorables à Paris et à Berlin. Fixée en 1996, cette interprétation est superbe d’équilibre et de ton, avançant avec une altérité idéale. Le grand Klaus Tennstedt fut l’un des fidèles invités du Concertgebouw d’Amsterdam bien que cette belle collaboration n'ait pas été trop documentée. On se réjouissait d’écouter cette Symphonie n°4 captée en 1982. Fidèle à sa réputation, Klaus Tennstedt est plus narratif que cérébral. Sa direction est portée par un souffle romantique porté par des emportements. Il y a certes de très beaux moments, mais le geste est un peu haché et manque parfois de fluidité, mais on salue la prise de risques d'une baguette imprévisible et souvent fascinante. A l'inverse, la Symphonie n°5 sous la direction de Jochum est l’un des sommets de l’art interprétatif. Comme nous l’avons écrit plus tôt, il s’agit de la dernière apparition du grand chef au pupitre d’un orchestre dont il était très proche. Toute l’interprétation est parcourue d’une sorte de tension exceptionnelle, comme si les musiciens avaient la sensation de vivre un moment particulier. Quant à la direction de Jochum, elle est impériale de grandeur dans le sens de la progression et la force architecturale de cette musique. Mariss Jansons se sera révélé un grand brucknérien à l’occasion de ses mandats à Amsterdam et à Munich auprès de l’orchestre de la radio bavaroise. Il s’était même affirmé comme l’un des interprètes élites de la Symphonie n°6. Il délivre ici une interprétation puissante mais allante de cette œuvre aux arêtes saillantes. Unité et sens des détails sont au cœur de cette démarche pertinente qui s'affirme comme une référence.  

Le trio des trois dernières symphonies est confié à rien moins que Bernard Haitink, Zubin Mehta et Riccardo Chailly. Haitink est particulièrement documenté dans la Symphonie n°7, le site abruckner.com qui propose une discographie complète des symphonies recense pas moins de 19 captations différentes sur des labels officiels ou pirates ! En 2006, le chef revient au pupitre de son ancien orchestre. Sa vision de l'œuvre est assez lente mais fluide et portée par un soin apporté aux équilibres et aux transitions. La Symphonie n°8 est, quant à elle, l’une des pièces maîtresses de Zubin Mehta. En 2006, il dirige son œuvre fétiche pour ses débuts au pupitre de la phalange néerlandaise ! Le chef indien a toujours été un grand brucknérien mais plus terrestre que céleste ou plus instrumental que métaphysique. Il conduit une lecture puissante et carénée portée par des pupitres d’exception qui s’épanouissent dans un festival de sonorités et de perfections. Enfin, apothéose de ce coffret, une Symphonie n°9 sous la direction de Riccardo Chailly. Là encore, cette captation est contemporaine de l’enregistrement studio pour Decca, mais le chef italien est un peu plus rapide, ce qui donne à la perfection de sa lecture une urgence dramatique.

Au final, il y a beaucoup de grands moments dans ce coffret, et les amateurs de cet orchestre et ceux des symphonies de Bruckner ne pourront pas faire l’impasse. Car si les différents chefs apportent des éclairages différents, le triomphateur est la phalange batave aux pupitres aiguisés et précis et à la sonorité flatteuse.

Son : 6/9 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8/10

Pierre-Jean Tribot

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