Les Variations Goldberg par Jean Rondeau

par

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Variations Goldberg BWV 988. Jean Rondeau, clavecin. Livret en français, anglais, allemand. Avril 2021. TT 51’41 + 55’12. Erato 0190296508110 

Le CD Melancholy Grace, favorablement accueilli dans nos colonnes du 24 septembre dernier, nous prodiguait un livret touffu sous la plume de Jean Rondeau, en radical contraste avec le laconisme de celui qui accompagne le présent disque. Des pages vierges, seulement titrées « silence », se substituent à la notice attendue et précèdent un court propos, sous guise de remerciement à l’équipe de production. Silence ? Les césures expressives, les ritardandos, les pauses et haltes, certains tempi même (celui de l’énoncé initial, mais aussi le Canone alla terza, le rubato inculqué à la Variation 12 ou la langueur pour la Variation 25, par exemple) expliquent en partie la durée de ce double-album. Lequel n’inclut pas l’exergue d’un prélude non mesuré, tel que l’artiste a pu offrir dans ses Goldberg données en concert ces dernières années. La raison majeure de ce vaste déploiement réside surtout dans l’observance des reprises. Une expérience particulièrement immersive donc, pour ceux qui tiennent à la complétude du texte et à l’effet de récurrence.

« Dans la phase préparatoire de cet enregistrement, Jean Rondeau a consulté une édition conservée à la Bibliothèque Nationale comportant des annotations qui sont de la main même de Bach » indique le site du label Warner. Le livret aurait pu dire un mot sur ce Handexemplar retrouvé en 1974 par Olivier Alain (le frère de la célèbre organiste) et qui corrige les versions primitivement imprimées par Balthasar Schmid de Nuremberg. On n’en saura pas davantage sur l’exégèse que le claveciniste a pu tirer de sa recherche. Globalement, le résultat intéresse par sa diction, son souffle long, ses lignes de fuite. C’est moins telle ornementation de détail qui indisposerait qu’une certaine propension d’ensemble à la préciosité. Et derrière une façade d’humilité, le recours à quelques artifices, comme le tressautement imposé à la Variation 4, la rigolote Fughetta ici trop disséquée, ou le statisme lourdaud de l’ultime Quodlibet, comme pour surligner qu’on atteint le terme du parcours avant le retour de l’aria. Malgré quelques cahots et chaussées accidentées (combien l’interprétation secoue la Variation 23 !), l’ornière se tapit sous d’autres doucereux périls : l’uniformité du ton guette l’auditeur Ainsi le Canone alla quinta morne et délité. La Variation 13 semble tester la ductilité du matériau, au risque du démembrement.

Si vous redoutez les exécutions trop dures ou rentre-dedans, la prestation de Jean Rondeau vous semblera un havre de souplesse, aux fluides tentures (les ruissellements à deux claviers de la Variation 20) et aux divans confortables, paré par la richesse spectrale de l’instrument (Jonte Knif & Arno Pelto, 2006, d’après modèles allemands) et une captation large et moelleuse. Dira-t-on que le virtuose, qui a pu apparaître comme un enfant-terrible dans de précédents enregistrements, semble ici emprunter les voies de l’introspection et de la sagesse ? Où les détracteurs détecteront peut-être une once de facticité, celle d’un compositeur en perruque qui inlassablement s’inspecterait dans le miroir, s’ingéniant à tester sa pose et soigner sa mise. Pour autant, nos lignes ne se veulent pas dissuasives. À découvrir assurément, tant par les admirateurs de Jean Rondeau que pour la singularité de son témoignage qui fraie en marge des références : Gustav Leonhardt, Pierre Hantaï chez Opus 111, ou récemment Michel Kiener qui illustre d’autre charmante manière la galanterie pompadourienne.

Son : 9 – Livret : ? – Répertoire : 10 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

 

 

 

 

 



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