L'expérience Svetlanov à Londres

par

Piotr Ilyich Tchaïkovski (1840-1893) : La Dame de pique, ouverture ; Claude Debussy (1862-1918) : Prélude à l’après midi d’un faune ; La Mer ; Sergei Rachmaninov (1873-1943)/ Ottorino Respighi (1879-1936) : Deux études tableaux ; Sergei Prokofiev (1891-1953) : Ouvertures sur des thèmes juifs. Philharmonia Orchestra ; BBC Symphony Orchestra ; London Symphony Orchestra, direction : Evgeny Svetlanov. 1979, 1999 et 2001. Livret en : anglais, allemand et français. 66’00’’. ICAC 5181.  

ICA Classics nous propose un album bigarré d'interprétations du grand Evgeny Svetlanov au pupitre des orchestres londoniens dont il était un fidèle compagnon de route. Le panorama est vaste car il commence à la fin des années 1970 pour nous emporter en 2001 à quelques mois du décès de l’immense Maestro. 

Tout comme Carlos Païta dont nous parlions hier,  est le représentant de la race des chefs absolus, capable tant de galvaniser que d’aller au-delà du message du compositeur, se l'approprient complètement en étant apte à en faire apparaître de nouveaux visages. En 2001, au soir de sa vie, le chef d’orchestre dirige Debussy. Le moins que l’on puisse dire, c'est que l’on est dans une expérience tant totale que personnelle. Le Prélude à l’après midi d'un faune s’étire en 13’28’’ aux confins de la lenteur, mais sans jamais décrocher. Le geste est lent, très lent mais Svetlanov habite chaque note, narrant une histoire toute en nuances. Il faut l’excellence du Philharmonia Orchestra pour suivre cette direction unique dans des recoins avec des pupitres coloristes et poétiques. La Mer qui s'enchaîne est également une grande expérience ! Le ton est animé,  parfois criard d’un fauvisme rauque et incandescent avec des cuivres rouges, parfois suspendu dans une lumière apaisée avant un mouvement de houle annonçant une tempête. Rarement la narration maritime aura autant été subjective, et c’est presque une exposition de peintures qui illustrent toutes les facettes de la vie maritime, des ombrages tempétueux aux trouées d'un soleil irradiant. Le Philharmonia est ici encore magistral d’engagement. 

Autre expérience unique, les Deux études tableaux de Rachmaninov dans l’orchestration de Respighi. De cette dizaine de minutes de musiques, captées en 1999, le chef impose une dramatisation totale avec un impact théâtral démentiel, dévoilant une force inattendue derrière cette orchestration. 

Après ce torrent de musique, on serait presque un peu réservés sur l’ouverture de la Dame de Pique (2001) de Tchaïkovski et sur l’Ouverture sur les thèmes juifs de Prokofiev. C’est certes très bien mené, dans le style et le ton, mais le contraste est trop grand avec Debussy et Rachmaninov. 

Bien sûr, c’est un disque à connaître par tous les fans du chefs et par les amateurs de direction. En ces temps d’interprétations aseptisés, on ne pourra que chérir cet art unique de l’immense Evgeny Svetlanov.

Les prises de son radiophoniques sont plutôt satisfaisantes même si la rudesse accoustique du Royal Festival Hall limite le spectre et les dynamiques alors que le livret, de la plume de l'excellent Jon Tolansky est très intéressant.

Son : 8/9 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9/10

Pierre-Jean Tribot

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