L'opera seria dans toute sa splendeur

par

Johann Adolf HASSE (1699-1783)
Siroe, re di Persia
M. E. Cencic (Siroe), J. Lezhneva (Laodice), F. Fagioli (Medarse), M-E. Nesi (Emira), J. Sancho (Cosroe), L. Snouffer (Arasse), Armonia Atenea, dir. George PETROU
2014 - 83' 53'' et 82' 35'' - Notice et livret en anglais, français et allemand - chanté en italien - Decca 478 6768

Maître absolu de l'"opera seria", Johann Adolf Hasse passait pour le plus grand musicien de son temps. Elève de Porpora et d'Alessandro Scarlatti, il produisit plus de 70 opéras, de 1721 à 1771, la plupart sur des livrets du fameux Metastasio à qui on finit par l'identifier. Opéras d'une longue durée (5 heures, parfois), inspirés d’éléments mythologiques ou de l'histoire antique, faisant se succéder arias da capo et récitatifs, sans duos ni ensembles ni choeurs. Son étoile pâlit à l'apparition de Gluck (Orfeo ed Euridice date de 1762) : il tomba rapidement dans l'oubli. Mais le jeune Mozart de Lucio Silla ou de Mitridate n'est pas compréhensible sans lui. Le rôle de Hasse dans l'histoire de l'opéra est comparable à celui des musiciens de l'école de Mannheim dans l'histoire de l'orchestre : il se détache progressivement de l'univers baroque pour aborder les rivages du classicisme. Tout cela est démontré à merveille par ce Siroe de 1733 dont les interprètes nous donnent la version révisée de 1763. L'intrigue, pour banale qu'elle paraisse (complots, amours et rivalités à la cour de Perse), s'inscrit dans l'esprit des Lumières par le renoncement final du tyran Cosroe et l'avènement d'une nouvelle ère de bonheur humain. Cette trame n'est suivie qu'assez lâchement, les airs se bornant presque tous à illustrer le sentiment d'un moment : amour, colère, jalousie, vengeance, fureur, pardon. Leur structure se base sur la forme de l'aria da capo : première partie lente, deuxième, virtuose. Ainsi se déroulent les quelque vingt et un arias dont se compose Siroe. Tous ne sont pas égaux certes, mais quelques-uns éblouissent par l'autorité de l'écriture et la virtuosité de la partie vocale. Après une sinfonia à l’italienne (vif-lent-vif), le premier acte voit défiler six airs, chaque rôle ayant reçu le sien. Les personnages sont parfaitement caractérisés et ne se modifieront pas : le spectateur est à l'aise et suivra plus sûrement. La beauté des airs, assez similaires, dépend un peu de leur interprète. On se sentira fasciné par l’incroyable virtuosité de Julia Lezhneva dès sa première intervention O placido, il mare lusinghi, mais aussi par son air débutant l'acte II qui n'est qu'une longue et étincelante vocalise. Les autres solistes ne déméritent nullement et Max-Emmanuel Cencic brille de tous ses feux de contre-ténor vedette dans le rôle-titre : ici la virtuosité cède souvent à la noblesse de ton seyant à son personnage positif. Il faut citer aussi l'Emira de la belle mezzo Mary-Ellen Nesi qui ne craint pas de souligner les lignes italiennes (Vivaldi) de nombreux traits de sa partie (Che furia, che mostro). Elle est l'âme de l'air final de l'acte II, un des grands moments dramatiques de la partition. Le Cosroe de Juan Sancho se plaît à déjà suggérer le classicisme, par exemple dans son air admirable -et pour une fois très lent- de l'acte III Gelido in ogni. Lauren Snouffer chante à ravir la partie plus mineure d'Arasse. Seul peut-être déconcerte Franco Fagioli (Medarse), au timbre plus grave que celui de Cencic : ses curieux changements de registre ne sont pas convaincants. L'interprétation de l'Armonia Atenea de George Petrou (24 musiciens seulement) a été enregistrée au Festival d'Athènes en juin 2014. Cet ensemble connaît bien le répertoire et le joue avec une nervosité au service des sentiments exprimés, même si l'orchestration ne brille pas par l'originalité : seuls cors et flûtes se détachent de temps en temps des cordes. Voici donc un bel exemple d'opera seria à conseiller à tous les amateurs d'un genre qui revient en force.
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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