L’orchestre de Brahms en version chambriste par Thomas Dausgaard 

par

Johannes BRAHMS (1833-1897) : Symphonie n° 4 op. 98 ; Danses hongroises n° 2, 4, 8-9, 17-21 ; Ouverture tragique op. 81. Orchestre de chambre suédois, direction Thomas Dausgaard. 2020. Livret en anglais, en allemand et en français. 72.50. SACD BIS-2383.

Né à Copenhague en 1963, Thomas Dausgaard est un chef d’orchestre à l’abondante discographie. Les musiciens des pays scandinaves y sont bien servis : Norgard, Svendsen, Langgaard, Wiren, Berwald, Nielsen, Sibelius… mais aussi Beethoven, Bruckner, Schubert, Schumann ou Brahms, dont le label BIS propose le quatrième volume d’une intégrale d’œuvres orchestrales. Nous n’avons pas eu l’occasion d’entendre les trois premiers volets de la dite intégrale, mais la qualité de ce nouveau disque donne une forte envie de les découvrir. Actuel directeur musical à Seattle et chef principal du BBC Scottish Symphony Orchestra, Dausgaard a été à la tête du Symphonique du Danemark de 2004 à 2011 et chef principal de l’Orchestre de chambre suédois de 1997 à 2019. La longue période de travail avec cette dernière formation lui a permis d’approfondir sa sonorité fluide et dynamique et lui a apporté une notoriété méritée. C’est avec cet Orchestre de chambre suédois qu’il a gravé cette série Brahms. Elle s’achève par un programme qui comprend la Symphonie n° 4, l’Ouverture tragique et une série de Danses hongroises que Dausgaard a lui-même orchestrées. Disons-le d’emblée : c’est une belle réussite.

Tenter l’aventure chambriste pour les symphonies de Brahms n’est pas si courant. Dans les années 1990, Mackerras en avait pris l’initiative pour Telarc, et, plus récemment, Robin Ticciati avait fait de même chez Linn, en 2017. Tous deux étaient à la tête du Scottish Chamber Orchestra. L’option chambriste, une quarantaine de musiciens dans le cas de Dausgaard, présente l’avantage d’alléger la pâte sonore, de fluidifier la masse orchestrale et de rendre le propos plus subtil, mais elle demande surtout une intelligence sensorielle pour laisser se développer les timbres et permettre une respiration équilibrée et dynamique. C’est à ce résultat que parvient aisément Dausgaard dans l’Allegro non troppo initial, enlevé avec chaleur, dans une belle décantation des cordes. La gravité de l’Andante moderato s’accompagne d’une poésie nostalgique, sans dramatisme appuyé. Quant à l’Allegro giocoso, il est brillant car Dausgaard laisse se déployer, parfois de façon démonstrative, ce qui n’est pas pour nous déplaire, les aspects rythmiques tout comme la saveur élégiaque. Le dernier mouvement, moment de réelle majesté, est abordé avec un savant dosage d’énergie contrôlée et de passion ; Dausgaard n’oublie pas de ciseler les interventions des vents et de la flûte avant d’entamer, dans un climat puissant, une partie finale pleine de tension, de grandeur et d’exaltation. Une très belle version chambriste, bien plus intéressante que celle de Robin Ticciati , qui avait parfois tendance à laisser l’architecture se relâcher. 

En fin de programme, l’Ouverture tragique confirme, dès les deux accords initiaux, la générosité du geste et l’impulsion dynamique. Le tempo va son chemin, dans une atmosphère de discours solennel sans outrance, qui décline la scansion rythmique en la maintenant dans des lignes instrumentales qui refusent le possible spectaculaire. Dausgaard a choisi la profondeur, jusqu’à la méditation, plutôt que la violence. Il laisse toutefois la conclusion s’élaborer dans une fougue nordique, bien en phase avec cette partition expressive. Entre la symphonie et l’ouverture, on découvre neuf danses hongroises, orchestrées par Dausgaard lui-même. On sait que Brahms se montra réticent aux demandes de son éditeur de donner une version orchestrale à ces pages pour piano à quatre mains. Il accepta malgré tout d’habiller trois d’entre elles, les n° 1, 3 et 10. D’autres arrangeurs, dont Dvorak, se chargeront de transposer ces airs populaires. Dans le cas présent, Dausgaard a orchestré toutes les danses non traduites par Brahms. Elles sont réparties sur deux CD de cette intégrale, six d’entre elles s’ajoutaient à la Symphonie n° 3. Ce sont donc les neuf autres que l’on entend ici, avec un réel plaisir, car Dausgaard leur donne toute la saveur dansante et pétillante « alla zingarese » qu’elles réclament. L’orchestre, qui a suivi avec brio et enthousiasme son chef dans les arcanes de la symphonie et de l’ouverture, s’en donne à cœur joie dans cet exercice virtuose complémentaire. Un CD Brahms de premier rayon, dans ce contexte chambriste réussi. 

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

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