Un deuxième volume pour les Ouvertures d’Auber

par

Daniel-François-Esprit AUBER (1782-1871) : Ouvertures et musique orchestrale - volume 2 : Le Concert à la cour ou La Débutante : Ouverture ; Concerto pour violon et orchestre en ré majeur ; Fiorella : Ouverture et Entracte de l’Acte III ; Julie, ou l’Erreur d’un moment : Ouverture et Finale ; Lestocq, ou L’Intrigue et l’Amour : Entracte de l’Acte III ; Léocadie : Ouverture, Entractes de l’Acte II et de l’Acte III ; Couvin, ou Jean de Chimay : Introduction de l’Acte I et de l’Acte II ; La Fiancée : Entracte de l’Acte III. Markéta Cepicka, violon ; Orchestre de chambre de la Philharmonie de Pardubice, direction : Dario Salvi. 61.16. Naxos 8. 574006.

L’an dernier, le label Naxos publiait le premier volume de ce qui devrait devenir une intégrale des ouvertures (et morceaux annexes) des trente-et-un opéras-comiques, sept opéras, trois drames lyriques et sept musiques de scène d’Auber, l’auteur de La Muette de Portici qui nous rappelle des souvenirs de 1830. Nous avions alors, dans ces colonnes, souligné l’enrichissement du répertoire (plusieurs partitions étaient des premiers enregistrements mondiaux), mais déploré la direction routinière de Dario Salvi face à un orchestre situé en Bohême orientale qui manquait d’élan et d’ardeur. On était très loin des versions éblouissantes de Paul Paray avec le Symphonique de Detroit chez Mercury, mais ce dernier chef ne s’était arrêté qu’à un petit nombre d’ouvertures, les plus célèbres.

Qu’en est-il pour ce deuxième album ? Le premier volet de la future intégrale proposait des partitions entre 1813 à 1826 ; le nouveau contenu s’étend de 1805 à 1834. Rappelons que, destiné à une carrière commerciale par son père qui l’envoie à Londres, destin qui ne plaît guère à Auber, celui-ci revient à Paris et écrit un petit opéra-comique en 1805 : Julie, ou l’Erreur du moment. C’est sa première œuvre scénique, qui est représentée par une troupe d’amateurs. L’Ouverture et le Finale sont ici présentés, dans un mode allègre et léger, avec de beaux effets de cordes. La même année, semble-t-il, Auber compose un Concerto pour violon et orchestre qui est judicieusement joint à ce deuxième volume de l’intégrale ; il montre du compositeur une autre facette, extérieure au monde scénique. La notice (en français, ce dont on ne peut que féliciter Naxos vu la rareté des partitions) nous apprend que ce concerto est destiné à un orchestre de chambre où les cordes dominent avec des insertions  de moments pour les vents. En trois mouvements d’une durée de près de vingt minutes, ces charmantes pages à l’atmosphère tour à tour pastorale, nostalgique puis dansante, est d’une écoute agréable qui s’inscrit dans la lignée de Tartini ou de Mozart. La partie de violon est colorée, chaude et enveloppante, dans une virtuosité maîtrisée qui s’insère à merveille dans le contexte chambriste. La soliste, Markéta Cepicka -dont la notice ne nous dit rien- est premier violon du Philharmonique de Pardubice depuis 2014 et s’est formée à Prague et à Vienne. Son interprétation est pleine de fraîcheur et de finesse ; ce concerto est une belle découverte, en première mondiale.

Si l’on procède par ordre chronologique pour la suite du programme, il faut évoquer l’intérêt manifesté par Cherubini à l’égard d’Auber, qu’il accepte comme élève pendant trois ans (Auber lui succédera plus tard à la tête du Conservatoire de Paris). Grâce à Cherubini, Auber bénéficie du mécénat du Prince de Chimay. Dans le château de ce seigneur où il est accueilli, Auber écrit en 1812 son deuxième opéra-comique, Couvin, ou Jean de Chimay, qui sera joué sur place, à titre privé, à une douzaine de reprises. Le CD propose l’introduction des Actes I et II de cette trame sur fond chevaleresque au temps des croisades. Deux courts moments de noblesse et de vigueur saluent le passé de la famille princière de Chimay. On saute alors une douzaine d’années au cours desquelles Auber écrit ses premiers opéras, dont on trouvait des échos dans le premier disque paru l’an dernier. En 1823 débute la collaboration avec Eugène Scribe : elle se renouvellera à trente-huit reprises ! Dès 1824, c’est Le Concert à la cour ou La Débutante, en un acte, qui se déroule dans les petits états allemands sous la Restauration. Le thème est l’ascension sociale d’une jeune cantatrice qui accèdera à la Cour par la grâce de sa voix. Le rôle est destiné à la soprano Antoinette-Eugénie Rigault (1797-1883) qui sera la vedette de La Dame blanche de Boieldieu en 1825. La notice signale que l’œuvre est très bien accueillie et va bénéficier de près de 250 représentations jusqu’au début des années 1850. C’est l’Ouverture que nous entendons, fine et imaginative, où l’air étincelant Entendez-vous au loin sert de fil conducteur, avec une belle utilisation des bois et des vents. On sent qu’Auber n’est pas loin de sa meilleure inspiration. 

La même année, c’est vers l’Espagne et un récit de Cervantès que se tourne le compositeur. L’intrigue de Léocadie évoque l’enlèvement d’une jeune fille. L’Ouverture, dans laquelle la harpe joue un rôle, est teintée d’accents ibériques dans un contexte mélodramatique où les influences de Cherubini et de Rossini se devinent. On découvre aussi les Entractes des Actes II et III, sur des thèmes vifs et bondissants. L’œuvre connut un beau succès, surtout pour sa musique plaisante, et elle fut jouée à 120 reprises pendant les huit années suivantes.

Nous sommes maintenant en 1829. Auber compose son onzième opéra, La Fiancée. Scribe est l’auteur du livret, dans une action située à Vienne après les conquêtes de Napoléon et où il est question des mélanges sociaux qui interviennent sous la Restauration. On découvre le très lyrique Entracte de l’Acte III, embelli par les flûtes et les clarinettes. Auber en réutilisera un thème dans la version italienne de Fra Diavolo en 1857. Créée à la salle Feydeau, La Fiancée est bien accueillie : rien que pour l’année 1858, elle est jouée 273 fois. La dernière œuvre qui figure au programme est l’Entracte de l’Acte I de Lestocq, ou L’Intrigue et l’Amour, qui date de 1834 et raconte l’histoire d’Elisabeth, la fille de Pierre le Grand ; évincée du trône, elle y accédera grâce à Lestocq, médecin et ancien ami du tsar. Ce très bref extrait (une minute trente) évoque une situation de tristesse soulignée avec émotion par les cordes et les bois.

Un premier constat s’impose après l’écoute de ce CD : notre connaissance de l’œuvre d’Auber est bien lacunaire alors que l’inscription au catalogue de certaines partitions, dont les brefs extraits présentés nous laissent sur notre faim, serait la bienvenue. Il y a encore beaucoup de travail à accomplir pour faire revivre maintes pages du XIXe siècle français. Et nous ne pensons pas qu’au seul Auber ! Deuxième constat : le plaisir fourni par ces diverses pièces consiste aussi dans l’investissement que la phalange tchèque apporte à l’ensemble. Si ce deuxième volet procure une plus grande joie musicale que le précédent, la présence du Concerto pour violon n’y est pas pour rien. Cette partition est d’un beau style chambriste et ne déparerait pas une programmation actuelle. Dario Salvi soigne mieux les contrastes et les subtilités que dans la première livraison, et on dépasse cette fois le stade des curiosités pour entrer dans le domaine de la découverte. Sans oublier qu’il s’agit la plupart du temps de premières discographiques. C’est donc avec intérêt que nous attendons les prochaines livraisons. D’autant plus que, sur le plan éditorial, Naxos, souvent avare de présentation de notices en langue française, a bien compris que cette nécessité était cette fois impérieuse. L’enregistrement, réalisé en février 2019, bénéficie d’une belle clarté.

Son : 8  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 8

Jean Lacroix  

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.