L’Otello de Verdi à l’Opéra National du Rhin

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Il aura fallu 15 ans et beaucoup d'efforts de persuasion de son éditeur Giulio Ricordi pour que Giuseppe Verdi décide de composer un nouvel opéra. Accompagné du compositeur et poète Arrigo Boito, il s’attaque une nouvelle fois à une œuvre de William Shakespeare. Le 5 février 1887, Otello triomphe pour sa création à la Scala de Milan. Véritable drame psychologique, cette tragédie de la jalousie nous fut proposée par l’Opéra National du Rhin ce mercredi 29 octobre. 

À la direction de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, nous retrouvons une figure bien connue du public liégeois en la personne de Speranza Scappucci, directrice musicale de la maison d'opéra locale entre 2017 et 2022. Spécialiste de l'œuvre de Verdi, c’est la première fois que la cheffe italienne dirige Otello. Très démonstrative, en perpétuel contact avec la scène, surtout lors des interventions du chœur, elle a mené l’orchestre à un très bon niveau, gérant les moments de tensions avec justesse et maintenant constamment une balance précise et à propos entre la fosse et les chanteurs. On peut toutefois regretter un manque de précision sur certaines arrivées, sûrement dû à la gestique très ample de la maestro. 

Du côté de la scène, commençons par le seul point négatif de cette magnifique production. La mise en scène de Ted Huffman, tout juste nommé directeur général du festival d’Aix-en-Provence, pèche par un manque cruel de sens. Conçu tel le théâtre élisabéthain, le décor épuré paraît inachevé, impersonnel. Ni totalement représentatif de l’endroit où prend place l’intrigue, ni totalement allégorique, ce décor n’amène finalement que peu de choses à la production, sinon des regrets.

Heureusement, le talent des artistes présents sur scène firent passer ces regrets au second plan ! À commencer par les chœurs de l’Opéra national du Rhin et de l’Opéra national de Nancy-Lorraine. D’une puissance à couper le souffle dans l’introduction, avec par la suite des interventions toujours justes, ils ont parfaitement entourés les solistes tout au long de l’opéra. Du côté des personnages secondaires, nous avons eu le plaisir d’entendre, bien que brièvement pour certains, Young-Min Suk en héraut, Thomas Chenhall en Montano, Massimo Frigato en Roderigo, Brigitta Listra en Emilia et Jasurbek Khaydarov en Ludovico. 

Pour les personnages principaux, Joel Prieto a joué un Cassio très contrasté, tantôt pathétique dans son ivresse, tantôt fier dans son exil. Dans le rôle de Desdemona, nous avons pu entendre Adriana Gonzáles. Quelque peu sur la réserve dans la première partie, elle a laissé éclater tout son talent dans la deuxième, livrant une sublime chanson du Saule et un Ave Maria d’une beauté étincelante. Mikheil Sheshaberidze, remplaçant du ténor Issachah Savage a également livré une magnifique prestation. Son Otello déchiré, autant victime que tirant, a donné vie à de très beaux moments, notamment dans le quatrième acte. On peut toutefois regretter de légères défaillances dans les aigus survenues en première partie. 

Pour finir, nous avons eu la chance d’entendre Daniel Miroslaw dans le rôle de Iago. Personnage central d’une tragédie qui ne porte pas son nom, mais bien sa malignité, le Iago de Daniel Miroslaw est un homme charismatique, sûr de lui, oppressant par sa présence, oppressant par son absence. Sans forcer, en donnant l’impression non pas d’incarner un rôle, mais d’être son personnage, le baryton polonais a éclaboussé de son talent la production alsacienne. Avec une voix profonde, machiavélique, toujours juste, sans jamais dépasser une limite qui aurait rendu son personnage mesquin, Daniel Miroslaw a donné vie au diabolique Iago avec un talent exceptionnel. 

Opéra National du Rhin, Strasbourg, le 29 octobre 2025. 

Alex Quitin. 

Crédits photographiques : Klara Beck

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