Magnifique Charles Dutoit

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Par deux fois, le Concert de l’An des Amis genevois de l’Orchestre de la Suisse Romande a été reporté à cause des mesures sanitaires. Martha Argerich aurait dû en être la soliste mais elle n’a pas pu modifier son agenda surchargé pour prendre part à la soirée du vendredi 2 juillet. C’est pourquoi Charles Dutoit a choisi un programme radicalement différent  en décidant d’en consacrer l’essentiel à la commémoration du cinquantième anniversaire de la mort d’Igor Stravinsky. 

Démarche dégingandée, œil vif, sourire aux lèvres, le chef montre une indomptable énergie en abordant le Dumbarton Oaks Concerto en mi bémol majeur. Il lui prête l’élégance du concerto grosso en mettant en valeur la pulsation rythmique sous le babillage des bois. L’Allegretto étire les lignes tandis que la flûte gouailleuse dialogue avec le basson sur un canevas de cordes instillant un arrière-goût étrange. Le Con moto final pétille avec les continuels changements de mesure aussi incisifs que précis.

En contrepoint à cette rigueur néo-classique, Charles Dutoit suscite une atmosphère de poésie rêveuse avec Ma mère l’Oye de Maurice Ravel. Au lieu de présenter la partition intégrale du ballet, il opte pour la suite de cinq pièces pour piano à quatre mains que le compositeur lui-même avait orchestrée en 1911. A la Pavane de la Belle au Bois Dormant en demi-teintes saupoudrées par la flûte et la clarinette, il enchaîne le cheminement du Petit Poucet se perdant dans l’oscillation des cordes sous les sarcasmes du premier violon et de la flûte. En mettant en exergue l’époustouflante luxuriance des timbres, il dessine Laideronnette Impératrice des Pagodes qui s’avance résolument en un choral majestueux que minimisera la valse aigre-douce des Entretiens de la Belle et de la Bête, commentés grotesquement par le contrebasson. En un pianissimo désabusé, les cordes entrouvrent la porte du Jardin féérique comme si le son affleurait des bas-fonds en s’amplifiant jusqu’à une éblouissante apothéose. Magistral !

Le concert s’achève par l’un des grands ballets d’Igor Stravinsky, Pulcinella, créé par Ernest Ansermet à l’Opéra de Paris le 15 mai 1920. Inspirée de quelques pages  authentiques de Pergolesi et d’autres que l’époque lui a faussement attribuées, cette partition promulguant l’esthétique néo-classique est présentée par Charles Dutoit comme une œuvre d’un seul tenant qui gomme le morcellement des numéros séparés pour faire ressortir les véhéments contrastes de rythme et de coloris. Passons sous silence la pitoyable contribution des trois voix solistes (Michela Antenucci, Ian Bostridge, Enrico Di Geronimo) pour ne retenir que ce panégyrique du baroque triomphant magnifié par une lecture électrisante. Chapeau bas, Maestro !                           

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 2 juillet 2021

Crédits photographiques : DR / OSR

 

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