Maîtriser la chaîne de valeur : application à la musique classique avec le San Francisco Conservatory of Music

par

Ce fut l’une des annonces "choc" de la semaine dernière même si son écho a été modeste dans notre partie du monde : le San Francisco Conservatory of Music a absorbé l’agence artistique londonienne Askonas Holt. 

Il faut rappeler que Askonas Holt est l’une des principales agences artistiques et l’un des poids lourds du secteur dominé justement par des firmes basées à Londres (Harrison Parrott, Askonas Holt et InterMusica sont les 3 majors du management artistique). Le catalogue d’artistes d’Askonas Holt est impressionnant : 300 musiciens dont plus de 70 chefs d’orchestre…Simon Rattle, Joyce DiDonato,  Angel Blue, Vilde Frang,  Jullia Bullock, Yannick Nézet-Séguin, Cédric Tiberghien, ou András Schiff sont des artistes de cette agence. Cette acquisition majeure, n’est pas la première du San Francisco Conservatory of Music qui sous la houlette de son président David Stull, a déjà acquis l’agence artistique américaine Opus 3 (qui représente également des artistes mondialement connus comme Yo Yo Ma ou Gil Shaham) et le label discographique Pentatone (label de l’année 2020 des ICMA). Cette nouvelle acquisition a fait beaucoup réagir dans le landerneau musical anglo-saxon conduisant à une perplexité devant une stratégie présentée par voie de communiqué de presse  comme cette volonté affichée de “faire avancer la cause de la musique au plus haut niveau dans le monde entier". 

Le  San Francisco Conservatory of Music est certes un établissement hautement réputé, mais il n’a pas encore le cachet légendaire de ses concurrents de la côte Est : la Juilliard School de New York ou le Curtis Institute de Philadelphie. Le  San Francisco Conservatory of Music souhaite-t-il s’attacher les services pédagogiques de grands artistes ? Sans aucun doute, la Californie avec les institutions musicales de San Francisco et Los Angeles, reste un point de passage obligé des grandes carrières musicales et l'un ou l’autre artiste pourra y donner des masterclass. Ce sera tape à l'œil sur Instagram et cela pourra justifier de frais d’inscriptions stratosphériques, comme c’est de coutume sur le marché de l’enseignement supérieur aux USA.

Mais prenons l’équation dans l’autre sens. Avec 2 agences artistiques de niveau mondial et un label international solide, le San Francisco Conservatory of Music leur propose une palette de perspectives : les services d’agences artistiques de part et d’autre de l’Atlantique, des connexions directes avec des grands artistes et les salles de concerts, d’opéras et des festivals du monde entier ainsi qu'un vecteur de promotion et de diffusion à travers un label de musique bien établi et apprécié tant pour ses contenus que la grande qualité de ses prises de son. Autant dire que ce sont des autoroutes pour permettre à de jeunes talents de s’implanter solidement dans le milieu. 

Car cette intégration professionnelle au plus haut niveau et surtout pérenne est évidemment la clef de voûte de la stratégie de toute école supérieure de musique ambitieuse. Il va sans dire qu’avec les moyens de communication modernes, il est plus facile que jamais d’exister, mais en posséder la maîtrise et avoir sous la main des budgets pour les dompter selon les plus hauts critères et créer des synergies et des réseaux, n’est pas à la portée du premier venu, malgré son talent. De plus, remporter un Prix  à un concours de musique international, même parfois très prestigieux, est de moins en moins une assurance de "faire carrière". 

C’est justement à ce niveau, en maîtrisant toute la chaîne de valeur, que cette stratégie a tout son sens, d’autant plus que par sa position géographique San Francisco ouvre sur l’Océan pacifique et l’Asie, une zone toujours très dynamique pour la musique classique. Les familles d'étudiants de cette aire géographique pourront considérer que l'investissement en vaut la chandelle, attirant des meilleures pousses.  Certes, cette stratégie n’est presque pas exportable en Europe continentale où les écoles supérieures de musique dépendent souvent de l'État et les tutelles publiques n'accepteraient jamais une telle stratégie trop perçue comme "commerciale".  

Il n’empêche, ces évènements vont porter à réfléchir et agir  d’autant plus qu’il prennent le contre-pied, comme le souligne justement Christophe Huss dans un article du quotidien canadien Le Devoir,  d'un monde réinventé post-covid où les grosses structures lourdes et peu mobiles auraient disparues au profit de compétiteurs agiles aux pieds légers. Il n’est également pas dit qu’une telle concentration fonctionne mais les Américains sont portés sur le business et ils savent surmonter les difficultés. Dans un monde de la musique en pleines mutations, où toutes les certitudes s'effacent, la prime sera à l'audace.

Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Pixabay

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.