Mârouf, Savetier du Caire ressuscité par la baguette d’Alain Altinoglou
Comment expliquer la disparition du répertoire de Mârouf, savetier du Caire d’Henri Rabaud ? Elève de Massenet, Prix de Rome, chef d’orchestre de l’Opéra de Paris de 1914 à 1918, puis de l’Orchestre Symphonique de Boston entre 1918 et 1920, le musicien a subi autant l’influence d’un Debussy que d’un Wagner, d’un Rimsky-Korsakov que d’un Puccini.
Et ce Mârouf, créé triomphalement à l’Opéra-Comique le 15 mai 1914, a un langage orchestral innovateur, osant d’audacieuses superpositions rythmiques pour dynamiser sa veine orientalisante. Pierre Monteux assurera la première au Met le 19 décembre 1917 ; et aujourd’hui, Alain Altinoglu déverse ce flot orchestral avec une délectation qui fait délirer le public de la Salle Favart. A la tête d’un Orchestre Philharmonique de Radio France d’une rare rutilance, il est la raison d’être de cette exhumation.
La mise en scène de Jérôme Deschamps joue la carte de la naïveté bon enfant avec un décor neutre style ‘de Chirico’ mais des costumes bariolés apportant la note d’humour. L’histoire du pauvre savetier, maltraité par sa calamiteuse de femme, l’amène à épouser la fille du sultan de Khaïtan ; et l’intervention d’un génie concrétisera la venue de cette caravane qui doit le rendre immensément riche. En Mârouf -écrit sur les moyens de ‘baryton Martin’ de Jean Périer, le créateur de Pelléas-, Jean-Sébastien Bou trouve le rôle de sa carrière tant la qualité de sa diction va de pair avec l’élégance de sa ligne de chant et la verve intarissable de la composition. Après la traversée du désert de ces derniers mois, Nathalie Manfrino, en Princesse Saamcheddine, renoue avec une santé vocale qui la rend profondément touchante. Franck Leguérinel a l’intelligence rusée du Vizir, quand Nicolas Courjal a la bonhommie naïve du Sultan. Doris Lamprecht, l’épouse calamiteuse, n’est qu’imprécations désordonnées que tempèrent les élans de bonté du pâtissier Ahmad (Luc Bertin-Hugault) et d’Ali, l’ami d’enfance (Frédéric Goncalvès). Et Christophe Mortagne joue de sons filés pour dessiner un Fellah qui se transformera en génie. En conclusion : quel grand ouvrage du répertoire français et quel chef d’orchestre !
Pierre-André Demierre
Paris, Opéra-Comique, le 25 mai 2013