Mendelssohn magnifique, Mahler moyen
Gewandhausorchester Leipzig, dir. : Riccardo Chailly
Soliste: Julian Rachlin (violon)
La foule des grands soirs remplissait la salle Henry Le Beeuf dimanche soir pour entendre l’illustre orchestre du Gewandhaus de Leipzig qu’on n’entend que rarement à Bruxelles. Sous la direction de son chef Riccardo Chailly, l’orchestre saxon s’est fait remarquer par des enregistrements très réussis des symphonies de Beethoven et de Brahms (Decca).
On peut imaginer que ce n’est pas par hasard que l’orchestre se produisait dans le concerto pour violon op. 64 en mi mineur de Mendelssohn, puisque cette magnifique oeuvre fut créée par ce même orchestre en 1845, avec en soliste le dédicataire du concerto, le violoniste Ferdinand David. Le soliste du présent concert était Julian Rachlin qui livra une prestation de la plus haute qualité, en rendant merveilleusement le côté frais et romantique de ce premier romantisme qu’incarne si bien Mendelssohn. Le son soyeux, le lyrisme rayonnant et l’interprétation merveilleusement équilibrée que donna le violoniste autrichien d’origine lituanienne rappelèrent à plus d’un moment l’art du regretté Arthur Grumiaux, surtout par cette façon, propre aux vrais artistes, de garder leur propre personnalité tout en mettant leurs considérables talents au seul service de la musique et de l’oeuvre qu’on se préoccupe de servir au mieux plutôt que de se mettre soi-même en valeur. L’accompagnement de Chailly et de l’orchestre n’appela que des éloges, le chef conduisant un vrai dialogue avec le soliste plutôt que de simplement le suivre au mieux.
Quand Mahler écrivit sa Première symphonie, il était précisément chef d’orchestre à l’Opéra de Leipzig, même si l’oeuvre (dans sa première version) fut créée en 1889 à Budapest sous la direction du compositeur qui était à ce moment à la tête de l’Opéra de cette ville. Tel qu’abordé par l’orchestre et son chef, le premier mouvement fit montre d’un plaisant parfum rustique et certainement dans l’esprit de la musique, alors que Chailly assurait avec beaucoup d’habileté la continuité du tissu symphonique, même si l’impression générale était d’une interprétation légèrement sous-vitaminée. Hélas les choses allaient nettement empirer par la suite. Si l’orchestre fit montre de très belles qualités (surtout dans les cordes graves -magnifique section de violoncelles- et les vents), l’impression s’installa peu à peu qu’il n’y avait plus vraiment de pilote dans l’avion. Le deuxième mouvement fut juste bruyant. Le troisième mouvement débuta de façon plus prometteuse, avec un solo de contrebasse plaisamment nasillard, alors qu’un peu plus loin, les vents de l’orchestre réussissaient à donner à l’épisode klezmer une remarquable sonorité de vieux disques 78 tours. Hélas, cette interprétation d’un chef certainement probe (qui -il faut lui rendre ce mérite- ne cherchait à aucun moment à tirer la couverture à lui, refusant de faire de cette oeuvre une vaine démonstration de virtuosité orchestrale), si elle aborda ce mouvement avec une belle recherche de raffinement au niveau des timbres, passa en revanche complètement à côté de l’aspect grinçant et ironique de la musique. Quant au dernier mouvement, l’enthousiasme et les ovations du public de la salle Henry Le Boeuf qui saluèrent la fin de l’oeuvre montrèrent à suffisance qu’il parvint à ravir les amateurs de bruit symphonique, mais l’interprétation, en dépit de sa belle qualité sonore et du puissant déchaînement orchestral qui conclut l’oeuvre, manqua curieusement à la fois de tension et de continuité symphonique, l’impression étant d’une enfilade de beaux moments sans cohérence interne, ni logique contraignante. Dommage.
Patrice Lieberman
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, le 8 février 2015