Moritz Moszkoswki ? Bien plus qu’un musicien de salon !

par

Moritz MOSZKOWSKI (1854-1925) : Valse op. 34-1 ; Barcarolle des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, arrangement ; Zephyr op. 57-4 ; Liebeswalzer op. 57-5 ; Mort d’Isolde de Wagner, arrangement ; Etude op. 72-13 ; Zwiegesang op. 52-3 ; Die Jongleurin op. 52-4 ; En Automne op. 36-4 ; Etincelles op. 36-6 ; Polonaise op. 17-1 ; Guitare op. 45-2 ; Caprice espagnol op. 37 ; Chanson bohême de Carmen de Bizet, arrangement. Etsuko Hirose, piano. 2020. Livret en anglais. 72.15. Danacord DACOCD 866.

Le compositeur et pianiste virtuose Moritz Moszkowski subirait-il la double peine de l’oubli encyclopédique ? On ne trouve son nom ni dans le Dictionnaire biographique des musiciens en trois volumes de Baker/Slonimsky (Laffont, Bouquins, 1995), ni dans Le Nouveau dictionnaire des interprètes d’Alain Pâris (même éditeur, 2015). Guy Sacré lui consacre quand même un peu moins de deux pages dans le deuxième tome de La musique de piano (même éditeur, 1998), mais le Guide de la musique de piano et de clavecin, sous la direction de François-René Tranchefort (Fayard, 1987) ne lui accorde que quelques maigres lignes. Et dans ces deux panoramas, les compliments s’arrêtent à la reconnaissance réservée d’un virtuose, adulé des salons de Paris. C’est quand même faire peu de cas d’un compositeur qui compte à son actif une centaine d’opus, dont les deux tiers sont dédiés au piano, et d’un brillant interprète qui faisait courir les amateurs dans toute l’Europe. C’est aussi oublier que Serge Rachmaninov ou Vladimir Horowitz l’ont inscrit à leur répertoire et que parmi ses élèves, on compte Josef Hofmann, Wanda Landowska, Gaby Casadesus, Joaquin Turina, Joaquin Nin ou Vlado Perlemuter ! Le disque rachète un peu une certaine condescendance : Naxos a notamment publié son brillant Concerto pour piano n° 1, couplé à une suite pour orchestre de belle tenue ; Hypérion et Onyx ont suivi le pas. Divers labels ont mis à la disposition des mélomanes un éventail de ses compositions pour le piano ou pour l’orchestre (Tudor, Solstice, Chandos, Toccata…). 

Né à Breslau en 1854, actuelle Wroclaw, dans une famille juive d’ascendance polonaise, Moszkowski étudie à Dresde et à Berlin où il commence sa carrière en 1873 lors d’un concert où est présent Liszt, qui écrit un article élogieux sur sa prestation. C’est aussi un violoniste de qualité, qui ne dédaigne pas d’être premier violon dans l’orchestre de la Kullak Neue Akademie de Berlin, où il enseignera pendant 25 ans. Moszkoswki entreprend de nombreuses tournées internationales qui le rendent célèbre par un jeu pianistique dont on ne loue pas seulement les qualités techniques, mais aussi le souci du détail, l’expressivité et le sens poétique. Après un mariage raté avec la sœur de Cécile Chaminade, qui aboutit à un divorce, il s’installe à Paris, où il a le chagrin de perdre sa fille âgée de 17 ans. D’importantes difficultés financières le conduisent à la ruine, rendant la fin de sa vie difficile en raison de la pauvreté et d’un cancer qui finira par l’emporter. Dans un élan de solidarité, un concert est organisé en sa faveur en 1924 au Carnegie Hall ; quatorze pianistes y participent, dont Wilhelm Backhaus, Percy Grainger, Ignaz Friedmann ou Josef Lhevinne. Il meurt quelques mois plus tard. 

Aujourd’hui, c’est Danacord qui propose un récital Moszkowski signé par la Japonaise Etsuko Hirose. Née à Nagoya en 1979, elle donne à six ans son premier concert avec orchestre dans un concerto de Mozart. C’est à Paris qu’elle peaufine sa formation, auprès de Bruno Rigutto et de Nicholas Angelich ; elle reçoit aussi des conseils de Marie-Françoise Bucquet et d’Alfred Brendel. Elle remporte plusieurs distinctions lors de compétitions internationales. En 1997, elle se classe première du Concours Martha Argerich. Après un retour au Japon où elle enregistre quelques disques, Etsuko Hirose revient en France où elle se fixe. Elle se produit dans le monde entier, en récitals, avec orchestre ou lors de festivals. On compte à son actif quelques CD chez Denon, Eloquence, Mirare, Warner ou Piano 21, où se côtoient Liszt, Chopin, Balakirev, Schumann ou, tout récemment, Lyapunov et ses 12 Etudes d’exécution transcendante. Le programme Moszkowski qu’Etsuko Hirose détaille est bien séduisant. Il fait la part essentielle au lyrisme, à la couleur et au sens mélodique du compositeur. Il débute par une sensuelle et élégante valse, écrite au moment de son mariage en 1884. Diverses atmosphères suivent, qui ont poussé la critique à qualifier Moszkowski de « musicien de salon », terme plus péjoratif qu’élogieux dans l’esprit de beaucoup. Force est cependant de reconnaître que ces pages dépassent ce cadre strict, qu’il s’agisse d’une fulgurante Etude de virtuosité que Liszt n’aurait pas reniée, des mélancoliques Etincelles ou En Automne, de la charmante Guitare tirée de bariolées Danses espagnoles, d’un Caprice tout autant espagnol au parfum capiteux, de l’enjouée Die Jongleurin ou d’une brillante Polonaise. Moszkowski démontre aussi son art de l’arrangement de pages célèbres d’opéras de Wagner (une émouvante Mort d’Isolde), d’Offenbach (délicieux Contes d’Hoffmann) ou de Bizet, dont la Séguedille et la Chanson gitane traduisent la volupté.

Dans ce récital évocateur, Etsuko Hirose fait preuve d’une grande intelligence interprétative. Elle ne se lance pas dans la démonstration ni dans les acrobaties, son choix et son goût se portent vers des pages dont l’harmonie mélodique est heureuse, montrant à suffisance que l’inventivité, la substance du propos et l’intensité lyrique sont présentes chez ce compositeur qui mérite bien plus qu’une attention superficielle. Ce CD a été enregistré fin octobre et début novembre 2019 en l’Eglise Evangélique Saint-Marcel, située dans le 5e arrondissement de Paris. La pianiste joue sur un Bechstein aux sonorités chaudes et enveloppantes, elle habille ces piècess attirantes et captivantes avec un sens de la distinction et du raffinement. Voilà un bien beau disque de piano, construit avec goût, qui permet à l’auditeur de se poser une ultime question : « Comment Moskowski jouait-il ? ». On peut trouver une réponse dans un CD Naxos, le deuxième des trois consacrés aux « Welte-Mignon Piano Rolls ». A côté de Richard Strauss ou Grieg jouant leurs propres œuvres, on y trouve Saint-Saëns ou Paderewski dans un Nocturne ou une Polonaise de Chopin. Mais encore Moritz Moszkowski interprétant en 1915, dans un son très présent, sa douce Valse op. 17-3 qui ne figure pas dans le récital d’Etsuko Hirose. Une manière de rejoindre la réalité d’un artiste que l’on ne limitera pas au seul salon… 

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 9 

Jean Lacroix 

 

   

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.