La clarinette habile de Max Bruch par le Trio Philon 

par

Max BRUCH (1838-1920) : Huit Pièces pour clarinette, alto et piano op. 83. Trio Philon. 2020. Livret en anglais et en français. 33.48. Analekta AN 2 8923.

L’œuvre que ce CD Analekta propose date du grand âge de Max Bruch, compositeur d’un Concerto pour violon n° 1 que tous les virtuoses de l’archet ont à leur programme, de trois symphonies, dont Kurt Masur avait en son temps donné de belles versions, mais aussi du poignant Kol Nidrei pour violoncelle et orchestre. Dans le domaine de la musique de chambre, il a écrit un trio, deux quatuors, un quintette, un octuor et quelques autres pages, dont ces Huit Pièces pour clarinette, alto et piano qui sont de 1910. Une affaire de famille, pourrait-on ajouter, car c’est à l’intention de son fils Félix, clarinettiste de métier, qu’elles ont été décidées. Peu après, ce sera, toujours pour Félix, un Concerto pour clarinette, alto et orchestre op. 88, que l’on joue peu. Au moment où il s’attelle à cette tâche, Max Bruch a déjà une longue carrière derrière lui. Né à Cologne, il compose dès ses quatorze ans une symphonie, et en 1858, une œuvre scénique qui est présentée dans sa ville natale. Il quitte Cologne pour s’installer à Mannheim, puis devient directeur musical d’une société de concerts à Coblence. C’est là qu’il compose en 1866 son célèbre Concerto pour violon n° 1. On le retrouve à Berlin en 1870, avant de le voir accepter un poste de chef d’orchestre à Liverpool de 1880 à 1883. Après un bref séjour aux Etats-Unis, c’est à Breslau qu’il devient directeur musical de l’orchestre local. Il sera encore professeur à la Hochschule für Musik de Berlin.

Dans ces Huit Pièces, aucune trace des tendances nouvelles qui agitent alors le monde musical. Max Bruch est un romantique invétéré, et c’est dans ce style que ces pièces au charme indéniable seront écrites. Deux d’entre elles portent un titre : la cinquième, Mélodie roumaine, et la sixième, Chant de nuit ; Bruch avait prévu, nous apprend la notice, d’inclure une harpe à ces deux mouvements élégiaques, ainsi qu’au troisième, idée finalement abandonnée. Ce qui ne l’empêcha pas de proposer ultérieurement des versions alternatives dans lesquelles la clarinette est remplacée par le violon ou le violoncelle. Le lyrisme qui se dégage de cette partition est d’une grande efficacité, car Bruch allie la noblesse à la chaleur de la mélodie et à la richesse thématique. Même si cette musique est conservatrice, son charme agit car Bruch alterne la mélancolie, le foisonnement et le luxe aux dialogues qui se déroulent entre les instruments, parfois même avec espièglerie (l’Allegro vivace ma non troppo, septième mouvement). La clarinette est mise en avant avec habileté, les couleurs qui lui sont attribuées sont riches et chaudes, elles donnent à l’instrument des accents séducteurs qui plaisent à l’auditeur.

On connaissait déjà cette partition agréable par d’autres gravures, par exemple celle de l’Ensemble Contrasts chez Koch, du Rahman Trio chez ASV et surtout celle de Dieter Klöcker, Ernö Sebestyen et Werner Genuit pour Bayer Records. Ici, c’est le Trio Philon, fondé à la Musik Akademie für Stadt de Bâle suite à une rencontre à Paris dans un cours de maître de Jörg Widmann, qui officie. L’enregistrement a été réalisé lors d’une résidence au Centre des Arts de Banff, cité canadienne de l’Alberta, dans le sud des Montagnes Rocheuses, en octobre 2017. Le Trio Philon se compose du clarinettiste David Dias da Silva, né à Montréal mais d’origine portugaise, de l’altiste anglais Adam Newman et de la pianiste allemande Camille Köhnken qui a étudié, entre autres, avec Pierre-Laurent Aimard. Dans la partition de Bruch, ce trio révèle une belle complicité, qui se traduit par une interprétation chaleureuse, avec des nonchalances, des inflexions caressantes, souples et subtiles, la clarinette de David Dias da Silva, souvent au premier plan, donnant à l’œuvre toute la part de romantisme qui la traverse tout entière. Le CD n’a qu’une durée d’un peu moins de 34 minutes, ce qui est d’une indigence dommageable dans le contexte du marché actuel. S’agirait-il d’une sorte de CD promotionnel ? On aurait tendance à le penser. Quoi qu’il en soit, il est très réussi.

Son : 9  Livret : 8  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.