Mozart, le maître de la Sérénade

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Crescendo publie un article rédigé par Alain Derouane et publié dans ses anciens numéros.

Le New Grove Dictionary of Music and Musicians définit la Sérénade comme une forme musicale apparentée au Divertimento, le terme désignant à l’origine une salutation musicale destinée à une personne aimée ou de haut rang et exécutée en soirée à l’extérieur. Sérénade trouve son origine dans le latin Serenus qui a donné l’italien Serenata utilisé au XVIe siècle pour désigner des pièces vocales, puis plus tard des pièces vocales avec instruments et enfin, fin du XVIIe siècle, des pièces purement instrumentales dont l’une des plus célèbres est Der Nachtwächter de Biber, écrite en 1673 pour deux violons, deux altos et basse continue. Réservée ainsi aux seuls instruments, elle devint fort populaire en Europe centrale où l’habitude voulait qu’elle fut jouée aux environs de 21 h, le notturno ou nocturne étant lui joué vers 23 heures. L’habitude des musiques en plein air très présente en Autriche et en Bohême n’a pas manqué d’en influencer la forme et la structure. Au début du Classique, l’effectif instrumental le plus souvent utilisé rassemblait d’abord des vents, altos et contrebasse. Petit à petit, apparurent des oeuvres où les cordes prirent plus d’importance et l’on en arriva même à des Sérénades exclusivement réservées à ces dernières. 

Mozart est certainement celui qui à l’époque donna à la forme ses plus belles lettres de noblesse. De libre et spontané qu’il pouvait être à l’origine, son schéma s’est avec lui un tant soit peu codifié (avec les exceptions qui confirment toute règle) à l’image de la Suite baroque dont elle pourrait être considérée comme une émanation. La Sérénade commence et se termine généralement par une marche qui encadre les autres mouvements qui se succèdent dans l’ordre: rapide - premier menuet et son trio - lent - deuxième menuet et son trio - rapide. Il n’hésite pas, en six occasions, à intercaler deux ou trois mouvements de Concerto entre le premier mouvement rapide et le premier menuet, Concerto réservé le plus souvent au violon mais aussi à d’autres instruments. Certaines Sérénades comptent ainsi une petite dizaine de mouvements au total. Dans leur ouvrage très connu, consacré au compositeur, Jean et Brigitte Massin insistent sur une précision importante, celle de l’exclusivité pour le commanditaire de l’oeuvre lorsqu’elle est destinée à une circonstance bien précise (fête, mariage, etc...) ce qui a pour résultat de ne la voir exécutée qu’une seule fois, contrairement aux Symphonies, Quatuors et Sonates pour lesquels cette limitation était inexistante. Les Sérénades étaient en effet généralement destinées à des bourgeois ou à des personnages importants à l’occasion d’événements festifs, raison pour laquelle elles ont, tout au moins en partie, un caractère enjoué et galant qui les différencie de la Symphonie plus sérieuse et plus profonde (ceci étant une fois encore dit avec les réserves d’usage car chez Mozart, bien plus que chez d’autres, les apparences sont bien souvent trompeuses).

La Sérénade en ré majeur (n1) K.100 aurait été jouée à Salzbourg durant l’été 1769 et l’on ne sait à ce jour ni pour qui, ni à quelle occasion. Huit mouvements dont deux, Andante et Menuet et Trio, constituent un Concerto intercalaire pour violon, hautbois et cor. Celle en fa majeur (n2) K.101 date de l’été 1776, toujours à Salzbourg, et porte le nom de Ständchen (en français "Sérénade") suite à l’inscription que Leopold Mozart aurait portée sur la partition. Elle n’est apparemment liée à aucun événement mondain mais retrouve les origines populaires de la forme comme en témoigne le choix des mouvements, Contredanses et Gavotte et pas de Menuet. L’instrumentation, flûte, deux hautbois, deux cors, basson, deux violons et contrebasse confirme ce sentiment. La n3 en ré majeur K.185, ainsi que la Marche en ré majeur K.189 qui l’accompagne, furent écrites à la mi-1773 à la demande de Wolfgang Andretter, notable salzbourgeois, qui voulait ainsi solenniser son mariage. Conforme au schéma de principe, elle contient un Concerto intercalaire pour violon en fa majeur comprenant deux mouvements, Andante et Allegro. La Sérénade n4 K.203 est également écrite en ré majeur et destinée à la plus noble des circonstances puisqu’il s’agissait des célébrations de la fête du saint patron de Hieronymus Colloredo, prince archevêque de Salzbourg, en août 1774. Le Concerto intercalaire en si bémol pour violon comprend ici trois mouvements et est en fait le centre de gravité de l’oeuvre. Comme la précédente, cette Sérénade est accompagnée d’une Marche en ré majeur (K.237). Suivant le même patron, écrite dans la même tonalité et accompagnée elle aussi d’une Marche (K.215),  la Cinquième Sérénade K.204 (Salzbourg, août 1775) n’a pas la carrure de sa devancière, et les circonstances de sa composition ne sont en outre pas connues. La Sixième, encore en ré majeur (K.239), est plus célèbre puisqu'elle porte le nom de Serenata Notturna. Oeuvre charmante, elle est destinée à deux petits ensembles instrumentaux constitués de cordes dont un avec timbales. Ces ensembles devaient vraisemblablement être séparés pour permettre certains effets spatiaux amusants. Elle ne comprend que trois mouvements et l'on ne sait rien quant aux circonstances de sa composition à Salzbourg en janvier 1776. La Sérénade n 7 K.250, toujours en ré majeur, est certainement une des plus connues puisqu’il s’agit de la Haffner du nom du bourgmestre de Salzbourg, Siegfried Haffner, qui mariait en juillet 1776 sa fille Elisabeth. Elle était accompagnée d’une Marche en ré majeur K. 249. L’importance du personnage et de l’événement justifie les grands moyens requis, un orchestre de cordes avec flûtes, hautbois, bassons, cors et trompettes, et la longueur de l’oeuvre dans laquelle figurent les trois mouvements (Andante - Menuet et Trio - Rondo: Allegro) d’un Concerto intercalaire en sol majeur pour violon. Comme la Sixième, la Huitième K.286 porte le nom de Notturno. Ecrite en ré majeur à l’occasion du Nouvel An 1777 à Salzbourg, elle fait aussi appel à plusieurs ensembles instrumentaux, pas deux mais quatre qui sont hiérarchisés, le premier joue l’entièreté du texte, les autres en reprennent certaines parties en écho, le second plus que le troisième et ce dernier plus que le quatrième. On perçoit l’ironie et/ou l’humour qui sous-tendent un tel procédé. Elle ne comprend que trois mouvements et doit sans doute être comprise comme un amusement bien de mise lors de fêtes qui marquent l’arrivée de l’an neuf. L’utilisation de plusieurs ensembles instrumentaux n’avait rien d’original et relevait d’une tradition qui voulait que l’on dispose en plusieurs endroits d’une salle d’honneur ou d’un parc des groupes qui pouvaient se répondre et créer ainsi de très beaux effets. On revient à des dimensions plus imposantes avec la n 9 K.320 appelée Posthorn Serenade, datant de août 1779 (Salzbourg). Composée elle aussi en ré majeur, elle est accompagnée de la Marche K.335 dans la même tonalité. Le Concerto intercalaire est ici une Symphonie concertante en deux mouvements, écrite en sol majeur et destinée à des paires de flûtes, hautbois, bassons et cors, instrumentation qui évoque la Symphonie concertante en mi bémol majeur K.297b écrite l’année précédente. Le nom Posthorn (cor de postillon) qui a été attribué à l’oeuvre trouve son origine dans l’usage d’un tel cor dans le deuxième Trio du deuxième Menuet. Il s’agit musicalement d’une oeuvre très riche dont le musicologue Alfred Einstein, spécialiste de Mozart, estime qu’elle était destinée à la cour de l’archevêque Colloredo et qu’elle était l’expression musicale du sentiment de ras-le-bol du compositeur à l’égard de son patron, le cor de postillon symbolisant un départ qui n’allait pas tarder. On plonge, avec la Sérénade n° 10 "Gran Partita" en si bémol majeur K. 361, dans un autre monde. Plus de Salzbourg, mais bien Munich et Vienne fin de l’hiver 1781, plus de cordes mais exclusivement des vents, plus de ré majeur mais bien si bémol majeur, tonalité plus adéquate aux clarinettes et cors de basset, présents en paires à côté de deux hautbois, deux bassons, quatre cors et une contrebasse ou un contrebasson. De carrure imposante, sept mouvements d’un contenu musical très riche pour "ce qui n’est" qu’une Sérénade, elle exige beaucoup des instrumentistes. Elle sera suivie sept mois plus tard par la n 11 en mi bémol K. 375, plus modeste tant dans ses dimensions que dans l’instrumentation, deux clarinettes, deux bassons et deux cors auxquels s’ajouteront, début 1782, deux hautbois. Mozart souhaitait attirer grâce à elle l’attention du chambellan de la cour impériale à Vienne. Pour l’anecdote, mentionnons que Wolfgang Amadeus eut l’heureuse surprise de l’entendre jouée par, selon ses propres mots, six pauvres hères, sous ses fenêtres à 23 h (l’heure des Notturnos!) le soir de la St-Wolfgang, le 31 octobre 1781. Juillet 1782 vit la naissance, toujours à Vienne de la n 12 en do mineur K.388. Destinée à un octuor composé de paires de hautbois, clarinettes, bassons et cors, elle se distingue d’une part par sa tonalité mineure apparemment peu pertinente pour une oeuvre à vocation délassante et d’autre part par le nombre de ses mouvements, quatre : Allegro, Andante, Menuet et Trio, Allegro, qui évoque avec évidence la structure d’une Symphonie. Il faut également mentionner son caractère sérieux, l’oeuvre n’aurait donc de Sérénade que le titre, bel exemple de l’ambiguïté mozartienne. C’est cinq ans plus tard, en août 1787, que naquit à Vienne la Sérénade n 13 en sol majeur K.525 "Eine kleine Nachtmusik", certainement la plus connue de toutes celles qui ont été composées de tous temps. Cinq mouvements dont le deuxième (Menuet et Trio) est perdu, cinq instruments (quatuor à cordes et contrebasse), beaucoup de joie spontanée, une grande simplicité, telle est la recette d’une oeuvre magique devenue une sorte d’image d’Epinal de son génial compositeur et même, pour certains, de l’entièreté de la musique dite classique.

Le petit jeu des statistiques sur les oeuvres qui viennent d’être énumérées nous montre que sur treize Sérénades, neuf ont été présentées pendant des mois d’été, juillet ou août. On imagine palais et demeures bourgeoises, un soir d’été, fenêtres ouvertes et les musiciens dans la cour ou le parc en train de divertir le beau monde. La tonalité de ré majeur est la plus présente, huit fois, mais il faut tenir compte du fait que le choix des tonalités pouvait être dicté par des impératifs liés à la nature des instruments à vent pour les n 10, 11 et 12. Cela n’est certainement pas un hasard, ré majeur étant considéré comme gai et approprié aux choses joyeuses. De même le choix de do mineur pour la n 12 répond certainement à l’intention d’imprégner de gravité une oeuvre qui par essence, étant une Sérénade, devrait avoir un caractère un tant soit peu léger ou badin. On peut aussi remarquer que les Sérénades "salzbourgeoises" les plus imposantes, les n 4, 7 et 9, étaient toutes destinées à des événements ou des personnages importants et l’on peut donc raisonnablement supposer que celles de moindre carrure étaient destinées à des personnes de statut social moins élevé, bourgeois, connaissances ou familiers du compositeur. 

Il conviendrait aussi, pour être complet, d’évoquer la parenté de ces oeuvres avec les Divertimentos et surtout les Cassations, mot qui trouverait selon certains son origine dans le verbe autrichien cassieren, c'est-à-dire briser ou terminer... et, par extension, terminer la journée. Deux nous sont restées, une en Sol majeur K.63 et l’autre en Si bémol majeur K.99 datant du printemps et de l’été 1769. La succession des mouvements rappelle celle de la Sérénade. On pourrait également parler des airs d’opéras de Don Juan, de l’Enlèvement au Sérail, de Cosi fan tutte qui ont des liens avec elle... mais, Wir müssen auch cassieren!

Alain Derouane

Musique : Sérénade n°10 "Gran Partita". Winds Art Orchestra // Julien Bénéteau, direction // Grégoire Pont, illustrateur. Le Winds Art Orchestra est composé de : Hautbois: Philippe Giorgi - Nicky Hautefeuille  / Clarinettes: Olivier Derbesse - Bogdan Sydorenko / Cors de basset: Julien Desgranges - Nicolas Fargeix / Bassons: Lionel Bord - Amiel Prouvost  / Cors: Nicolas Josa - Emmanuel Bénèche - Jean-Charles Masurier - Cédric Muller / Contrebasse: Mathias Lopez

Crédits photographiques : W-A Mozart / DR

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