Musique vénitienne pour vents du XVIIIe siècle au-delà de Venise
Antonio Lotti (ca. 1667-1740) : Sonata à 4 en si majeur pour deux hautbois, basson et basse continue. Antonio Caldara (1670-1736) : Sinfonia en sol majeur pour flûte, hautbois et basse continue. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concerto en sol mineur RV 103 pour flûte, hautbois et basson. Baldassare Galuppi (1706-1785) : Sonata à 3 en sol majeur pour flûte, hautbois et basse continue. Giovanni Battista Ferrandini (ca. 1710-1791) : Sonate en la mineur op. 2 n° 2 pour hautbois et basse continue. Giuseppe Antonio Brescaniello (ca. 1690-1758) : Concerto en si majeur pour hautbois, basson et basse continue. Giovanni Benedetto Platti (ca. 1697-1763) : Sonate en sol mineur pour hautbois, violoncelle et basse continue. Affinità, Ensemble für Alte Musik, direction Elisabeth Baumer. 2018. Livret en anglais, en allemand et en français. 66.34. Arcana A 119.
Née à Klagenfurt en Autriche, Elisabeth Baumer étudie le hautbois à Milan, à Vérone et à Vienne, où elle apprend aussi la flûte à bec. Membre de plusieurs ensembles spécialisés, dont l’Accademia Bizantina d’Ottavio Dantone où elle est hautboïste soliste depuis 2004, elle fonde en 2012 l’Ensemble -italo-autrichien- Für Alte Musik Affinità qui se consacre avant tout au répertoire baroque pour instruments à vent. Ce CD Arcana est le premier enregistrement de l’ensemble, dans des partitions connues comme le Concerto RV 103 de Vivaldi, mais aussi avec une première mondiale au disque, une sonate de Ferrandini.
L’intéressante notice, signée par Laura Mazzagufo, dont nous nous inspirons, rappelle qu’entre le 17e et le 18e siècles, Venise reste l’une des scènes les plus suggestives pour la création musicale, bien qu’elle ne puisse plus se targuer de son prestige stratégique et économique d’antan. Les compositeurs vont se consacrer à des genres comme l’opéra ou le concerto qui connaissent le succès à Vienne, Paris ou Amsterdam. Le Procurateur de la cité, personnage le plus important après le Doge, gère la basilique de Saint-Marc et nomme le directeur musical de la Chapelle, le Primo Maestro. Antonio Lotti occupe cette fonction à partir de 1736, après avoir accompli tout le parcours, depuis la fonction de simple chanteur. Pendant cette carrière qui évolue, il compose de nombreuses œuvres vocales et instrumentales, dont la bondissante et fruitée Sonate pour deux hautbois, basson et basse continue qui ouvre le programme. D’autres compositeurs se servent de la Chapelle pour tenter l’aventure ailleurs. Antonio Caldara devient Maître de la Chapelle musicale du Duc de Mantoue en 1699 ; bientôt, ce sera Rome, chez le Prince Ruspoli. Il compose de nombreuses cantates. La Sinfonia pour trois instruments proposée ici est l’introduction de l’une d’entre elles, Clori, mia bella Clori, au cœur de laquelle une voix de contralto vient s’ajouter. On sent dans cette page instrumentale l’influence du milieu mondain de Rome et son goût affecté.
Le programme se poursuit par le Concerto RV 103 de Vivaldi, partition bien connue que de multiples solistes, dont Jean-Pierre Rampal, ont enregistrée ; il illustre le principe de la « Kadenzmelodik » qui consiste à former des mélodies avec de simples fragments cadencés. Vivaldi ne sera pas Primo Maestro, mais Baldassare Galuppi, originaire de Burano, le deviendra, lui, en 1762 ; une vivifiante Sonate pour flûte, hautbois et basse continue, au cours de laquelle les deux instruments principaux entament un fascinant dialogue, rend compte de sa belle inspiration. Des séjours à l’étranger, de durée relative ou sur le long terme, vont réussir à maints créateurs. Ils entraînent Giovanni Battista Ferrandini à Munich où il devient directeur de musique de chambre à la Cour. Il publie en 1737, à Paris, un recueil de six sonates, pour la flûte, le hautbois et le violon. C’est l’occasion d’une première mondiale au disque, avec la deuxième de ces sonates, tirée de l’opus 2, où abondent les aspects virtuoses et ornementés. Deux compositeurs vont connaître le succès en Allemagne : Giuseppe Antonio Brescaniello, à Stuttgart, chez le Duc de Württemberg et Giovanni Benedetto Platti auprès du Prince Evêque de Würzburg. Le premier est représenté par un concerto dans lequel ce musicien formé à Bologne et à Venise tend déjà la main au préclassicisme. Quant à Platti, qui s’inscrit dans l’héritage de Vivaldi, il est au cœur d’une expressivité qui, précise la notice citant le musicologue Alberto Basso, est annonciatrice du style de Mozart.
Ce programme varié, enregistré en avril 2018 en l’église Saint-Martin de Klagenfurt, est servi avec beaucoup de charme et d’élégance, de finesse et de projection ciselée par Elisabeth Baumer, présente dans chaque oeuvre, au hautbois et à la direction. Pour Lotti, elle a pour partenaire de son instrument Mariella Cuchiero qui tiendra la flûte dans Caldara et Vivaldi. Sieglinde Grössinger joue de la flûte à bec dans Galuppi, et le violoncelliste Peter Treffinger est présent dans Platti. Riccardo Coelati Rama au violone, Pietro Prosser à l’archiluth et Takashi Watanabe au clavecin se partagent les parties de basse continue. Ce panorama où dominent la couleur expressive et la distinction stylée rend bien compte d’une époque représentative d’une tradition vénitienne prestigieuse, mais aussi de l’amorce d’un avenir radieux pour la musique européenne. Pour l’ensemble Affinità, dont le lustre complice n’échappera pas aux amateurs de musique de chambre peaufinée, ce CD est une réussite qui en appelle d’autres.
Son : 9 Livret : 9 Répertoire : 9 Interprétation : 9
Jean Lacroix