Nikolay Khozyainov au Théâtre des Champs-Elysées : virtuosité sans émotion
Le 17 décembre dernier, le pianiste, compositeur et chef d’orchestre russe Nikolay Khozyainov a offert un récital unique parisien de la saison au Théâtre des Champs-Élysées. Au programme : Schumann, Stravinsky, Chopin, ainsi qu’une Fantaisie de sa propre composition. Un programme ambitieux et hautement virtuose, mais qui peine à émouvoir.
Vêtu d’une queue-de-pie, Nikolay Khozyainov fait une entrée remarquée, affichant une stature imposante et un large sourire. Son assurance et sa présence scénique sont indéniables. Le récital s’ouvre avec les Variations sur un thème de Beethoven WoO 31 de Schumann. On connaît cette œuvre grâce à des enregistrements, notamment celui de Cedric Pesca chez Claves paru en 2017 et de Cédric Tiberghien chez Harmonia Mundi sorti en 2023. Il s’agit d’études sur le thème du mouvement lent de la Septième symphonie de Beethoven sous forme de variations, dont la composition date de 1833 à 1835. Schumann composait parallèlement les Études symphoniques qui datent de 1834, d’où quelques similitudes avec celles-ci. Dans son interprétation, Khozyainov démontre une technique irréprochable : chaque note est finement articulée, les nuances parfaitement maîtrisées. Sa virtuosité ne fait aucun doute, et il sait instaurer des moments d’introspection rêveuse. Il montrera avec constance ces qualités, tout au long du récital.
Si l’on espérait retrouver dans sa Fantaisie un caractère du genre « fantaisie », c’est-à-dire une liberté créative débordant des cadres habituels, elle se révèle plutôt être une pièce de easy listening comme diront les Américains, dont le caractère reste homogène et sans surprises.
Avec les Trois mouvements de Petrouchka de Stravinsky, le pianiste trouve une occasion de déployer toute sa puissance technique. Chaque accord et chaque rythme sont rendus avec une énergie sauvage mais maîtrisée, révélant une profusion de détails pittoresques. L’exécution impressionne, mais laisse le spectateur sur sa faim : la performance semble trop calculée, davantage soucieuse de produire des effets que de susciter une véritable émotion. Mais nous préférons attendre la deuxième partie pour confirmer ou infirmer cette impression. Il pourrait jouer les 24 Préludes de Chopin sans ces effets !
Hélas, La seconde partie confirme cette impression. Bien que Khozyainov révèle un beau lyrisme dans les pièces calmes, mais quelques voix intermédiaires trop mises en avant souffrent d’un déséquilibre. Par moments, il laisse les notes se fondre grâce à un usage prolongé de la pédale forte, ce qui crée une atmosphère mystérieuse, mais ce procédé nous semble employé de manière un peu excessive et finit par lasser. S’y ajoutent des phrasés parfois brutalement interrompus, à moins que ces ruptures ne soient délibérées. Si la recherche d’effets sonore est indubitable, elle semble parfois influer sur l’équilibre général de l’interprétation, notamment sur le plan émotionnel.
Le récital s’achève par une série de sept bis éclectiques : la Valse de l’adieu de Chopin, la Danse sacrale du Sacre du Printemps de Stravinsky, l’Improvisation n° 15 « Hommage à Édith Piaf » de Poulenc, La marche triomphale et chœur d’Aïda de Verdi, le Clair de Lune de Debussy, un medley sur Carmen (sans doute de sa composition), et une Gymnopédie de Satie. Bien que ces rappels prolongent agréablement la soirée, ils ne parviennent pas à dissiper l’impression générale d’un récital virtuose mais sans réelle montée émotionnelle.
Concert du 17 décembre, au Théâtre des Champs-Elysées, Paris.
Victoria Okada
Crédit photographique © Marie Staggat