Ning Feng face à Paganini et Vieuxtemps

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Nicolo PAGANINI (1782-1840) : Concerto pour violon et orchestre n° 1, opus 6 ; Henri VIEUXTEMPS (1820-1881) : Concerto pour violon et orchestre n° 4, opus 31. Ning Feng, violon. Orquesta Sinfonica del Principado de Asturias, sous la direction de Rossen Milanov. 2019. Livret en anglais et en allemand. 68.20. Channel Classics CCS 40719.

Virtuose à la technique resplendissante, le Chinois Ning Feng est aussi un artiste sensible. On avait pu le constater lors de la finale du Concours Reine Elisabeth de 2001, où il s’était classé cinquième. Il avait alors 19 ans. Après avoir commencé sa formation dans son pays natal, il l’a poursuivie à la Royal Academy of Music de Londres, puis à Berlin. En 2006, il remportait à Gênes le Premier Grand Prix de la 48e édition du Concours Paganini. Il mènera alors une carrière internationale et signera plusieurs disques pour Channel Classics (Bruch, Tchaïkowsky, Sarasate, Lalo, Elgar, Finzi). Parmi ses CD figurent aussi des enregistrements de musique de chambre de Schubert, Dvorak, Borodine ou Shostakovitch avec le Dragon Quartet qu’il a fondé en 2012. Depuis cette année-là, Ning Feng joue le Stradivarius « MacMillan » de 1721.

Le programme s’ouvre par le spectaculaire Concerto n° 1 de Paganini, composé sans doute entre 1815 et 1816, une partition qui peut ouvrir la porte à des excès interprétatifs. Ce n’est pas le cas de Ning Feng qui en donne une version séduisante à bien des égards. Au-delà de la facilité technique qu’il déploie, il n’accentue pas le côté démonstratif dans l’Allegro initial qu’il aborde avec un sens de l’équilibre et de la construction ; il y place pour des moments lyriques bienvenus avant de se lancer dans la cadence dont il arrive à ne pas accentuer les côtés un peu boursouflés, leur préférant un vaste discours où la beauté du son est mise en valeur. L’Adagio laisse le chant s’épanouir avant un Final où la liberté de Feng se donne libre cours, avec énergie et fougue mais aussi avec élégance et générosité. Il faut préciser que l’Orchestre des Asturies et son chef Rossen Milanov se montrent à la hauteur de sa conception, ils évitent eux aussi les effets accentués et les lourdeurs que certains se laissent parfois aller à souligner de manière exagérée. 

Le couplage avec le Concerto n° 4 de Vieuxtemps, que le compositeur écrivit lors d’un séjour à Saint-Pétersbourg en 1849-1850, pourrait étonner, mais il est ici est des plus opportuns. Cette œuvre en quatre mouvements convient à la personnalité de Ning Feng qui peut faire entendre, après l’introduction orchestrale, sa sonorité riche et soyeuse tout autant que sa capacité à traduire le côté lyrique et grandiose de la partition, sans tomber dans l’excès de pathos ou de grandiloquence. Dans le second mouvement, l’Adagio religioso, où la harpe est présente, Feng a bien compris le sens de la ferveur insufflée par Vieuxtemps, tout comme l’atmosphère délicate aux arabesques ensoleillées, dans un habile dialogue avec l’orchestre. Le Scherzo est pris dans un tempo vif et coloré ; le Final glorieux aux accents martiaux couronne triomphalement une œuvre au sujet de laquelle Berlioz a pu écrire dans Le Journal des débats que « ce concerto est une magnifique symphonie avec violon principal ». C’est de cette manière que la présente version est abordée ici. L’Orchestre des Asturies est en phase de partage permanent avec le soliste. Le chef bulgare Rossen Milanov, qui s’est déjà fait remarquer avec l’Orchestre de Philadelphie dans Brahms, Shostakovitch ou la Symphonie concertante de Jongen, offre à Feng un écrin idéal pour sa fine virtuosité, démontrant par ailleurs les qualités de cette phalange espagnole peu connue qui séduira bien des auditeurs. On n’oubliera pas, pour ce concerto de Vieuxtemps, les versions prestigieuses de Heifetz, ardent, avec Barbirolli (1935) ou de Perlman, lumineux, avec Barenboïm, ni celle, très poétique, d’Arthur Grumiaux avec Manuel Rosenthal. On se souviendra aussi, il y a une petite dizaine d’années, de Lorenzo Gatto, fastueux, avec le Philharmonique Royal de Liège dirigé par Patrick Davin. Mais Ning Feng, en signant ce CD très bien enregistré en juin 2017, apporte la preuve de son jeu raffiné, sincère et complet.

Son : 9  Livret : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 9 

Jean Lacroix

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