Voir comme on entend, entendre comme on voit : Cenerentola à Liège

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Rossini, c’est un bonheur musical et vocal. Ses partitions sont le plus souvent pyrotechniques -et cela même dans une œuvre au contenu plus douloureux comme son Stabat Mater. C’est un artificier multipliant les croches multipliées, les crescendo-decrescendos vertigineux ; il n’a pas peur des sommets, là-bas, tout en haut, bien au-dessus de la portée. Il est drôle, immensément drôle, au premier degré comme dans des décalages délicieusement ironiques. Il (se) joue de ce qu’il fait jouer ! Mais cette allégresse, qui s’empare du spectateur, exige une intense concentration des musiciens qui la font naître. C’est un spectacle toujours amusant que celui du contraste entre une salle qui éclate de rire et des instrumentistes penchés si sérieusement sur leurs partitions.

A l’Opéra de Liège, pour une Cendrillon sans carrosse-citrouille mais avec un magicien qui gère la situation pour qu’elle se conclue au mieux (sans chaussure de verre/vair mais avec un double bracelet), cette musique dans tous ses éclats est garantie par la direction nettement affirmée de Speranza Scappucci. C’est non seulement d’une baguette précise qu’elle dirige, mais aussi dans un intense engagement physique. Tout son corps, en bonds et rebonds, devient impulsion, incitation. L’orchestre, ainsi stimulé, répond à ses exigences. Il faut signaler en outre qu’elle mène tout ce beau monde au grand galop. Le plateau, lui aussi, répond à ses attentes. Que ce soient l’Angelina-Cenerentola de Karine Deshayes, si juste, dans tous les sens du terme, le Don Magnifico de Bruno de Simone, méchant-ridicule père de famille, le Dandini d’Enrico Marabelli, valet devenu son maître et « s’y croyant », l’Alidoro de Laurent Kubla, deus ex-machina de la machination vertueuse, les Clorinda de Sarah Defrise et Tisbe d’Angélique Noldus, godiches prétentieuses à souhait et, je ne l’ai pas oublié mais j’ai été particulièrement séduit par la qualité de son timbre, le Don Ramiro de Levy Sekgapane. 

Cette musique-là, les yeux fermés, suffirait : on verrait sans peine ! Mais Cécile Roussat et Julien Lubek, les deux metteurs en scène et scénographes, en osmose avec la chef, nous la font mieux entendre dans ce qu’ils nous donnent à voir. Eux aussi, jouent le jeu du conte, dans une exagération maîtrisée. Un plateau tournant donne à voir le logis plus que délabré de Don Magnifico, le trône plus qu’imposant du Prince. Tout est « surjoué » mais sans jamais basculer dans la lourdeur ni la vulgarité. C’est rossinien en fait.

Et voilà pourquoi, à Liège, on se réjouit de voir comme on entend, et d’entendre comme on voit ! De joyeuses fêtes !

Stéphane Gilbart

Liège, Opéra Royal de Liège-Wallonie, le mercredi 18 décembre 2019

Crédits photographiques :  © Opéra Royal de Wallonie-Liège

 

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