Noël baroque : compilation de cantates, par des compositeurs associés à la Thomaskirche de Leipzig
Weihnachten in der Thomaskirche. Johann Schelle (1648-1701) : Machet die Tore weit. Weihnachtsoratorium. Vom Himmel kam der Engel Schar. Tobias Michael (1592-1657) : Machet die Tore weit. Sebastian Knüpfer (1633-1676) : Dies est Laetitiae. Ach mein herzliebes Jesulein. Johann Caspar Horn (1636-1722) : Es begab sich aber zu der Zeit. Johann Kuhnau (1660-1722) : Frohlocket ihr Völker. Magnificat en ut majeur. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Weihnachtsoratorium BWV 248. Gelobet seist Du, Jesu Christ BWV 91. Selig ist der Mann, der Anfechtung erduldet BWV 57. Süsser Trost, mein Jesus kömmt BWV 151. Das neugeborne Kindelein BWV 122. Antonia Bourvé, Simone Schwark, soprano. Johanna Krell, alto. Florian Cramer, Hans Jörg Mammel, ténor. Markus Flaig, basse. Kammerchor der Erlöserkirche Bad Homburg. Susanne Rohn. Johann Rosenmüller Ensemble. Arno Paduch / Monika Mauch, Hanna Zumsande, soprano. Franz Vitzthum, altus. Sebastian Hübner, ténor. Ekkehard Abele, basse. Kammerchor der Christuskirche Karlsruhe. Peter Gortner. L’Arpa Festante. Christoph Hesse / Gerlinde Sämann, soprano. Petra Noskaiova, alto. Christoph Genz, ténor. Jan Van der Crabben, basse. La Petite Bande. Sigiswald Kuijken / Gunta Smirnova, soprano. Flavio Ferri-Benedetti, altus. Hans Jörg Mammel, ténor. Raitis Grigalis, baryton. Musica Fiorita. Daniela Dolci. 2010-2020. Livret en allemand, anglais ; paroles traduites en allemand. TT 75’53, 67’14, 74’56, 76’56, 65’12. Coffret cinq CDs Christophorus CHR 77475
« Noël à la Thomaskirche » titre un brin fallacieusement la couverture. Contextualisé dans un succinct livret, le programme rassemble certes des œuvres liées à la Nativité, mais aucune des sessions n’a planté ses micros dans la prestigieuse église de Leipzig. La référence s’explique autrement : hormis Johann Caspar Horn, natif de Dresde, le coffret rend hommage aux Thomaskantoren des XVIIe et XVIIIe siècles, et notamment leur plus célèbre représentant, Johann Sebastian Bach, qui occupe trois des cinq disques. Se trouvent ici compilés quatre albums plutôt récents, précédemment publiés sous étiquette Christophorus (CD 1, CD 2 en coproduction avec la radio SWR), Accent (CD 3), Pan Classics (CD 4-5), et captés à la fin décembre (2010, 2017, 2019) dans le légitime parage des fêtes de l’Avent et Noël, à l’exception du premier disque enregistré en janvier 2020.
Erlöserkirche de Bad Homburg, Christuskirche de Karlsruhe, Amuz d’Anvers, Adullam Kapelle de Bâle : en ces diverses acoustiques, les images sonores s’avèrent spacieuses et aérées. Moyennant un surcroît de proximité et de présence pour le quarté de cantates (BWV 57, 91, 122, 151) qui constituait le quatorzième volume du panorama gravé par Sigiswald Kuijken, dans une configuration chambriste, articulée avec clarté et galbe, épaulée par de valeureux solistes rompus à ce répertoire (Gerlinde Sämann, Petra Noskaiova, Christoph Genz, Jan Van der Crabben).
En revanche, l’apparat avec chœur, cuivres et timbales domine l’assortiment de Geistliche Konzerte introduit par l’emblématique Machet die Tore weit de Johann Schelle, que Susanne Rohn pilote d’une main sûre et garante d’émotion collective. Mêmes ferveur et envergure pour la galerie dirigée par Peter Gortner dont on apprécie la manière fine et allusive. Sur ce CD 2, on estimera toutefois un peu sous-voltée l’interprétation de l’Actus Musicus auff Weyh-Nachten et de la cantate Vom Himmel kam der Engel Schar, pour mieux ensuite succomber à un Magnificat de Kuhnau élégamment dessiné, qui culmine sur une doxologie (Gloria Patri) et un Sicut erat in principio d’un élan raffiné.
La pièce principale de ce package est bien sûr l’oratorio de Bach, conduit du clavecin par Daniela Dolci, une des meilleures versions de ces dernières années. Il faudra passer sur l’introductif Jauchzet, frohlocket, brassé avec une impatience un peu confuse, pour se laisser ensuite convaincre par cette approche en couleurs vives, saturant l’éloquence de chaque vignette. Le zèle se fait plus discipliné dans l’introduction du cinquième tableau, cet Ehre sei Gott que la troupe anime avec effervescence. Avouons que la petite dizaine de cordes sonne un peu malingre dans la réverbération, toutefois elle répond adéquatement à l’effectif limité à une douzaine de chanteurs incluant le ripieno.
Certaines options pourront surprendre, notamment en matière de continuo qui recourt à guitare et théorbe. Ce qui nous vaut par exemple un treillis de pizzicato dans le Flösst, mein Heiland où ronronne en outre un basson, qui en renfort des hautbois ne passera pas inaperçu dans le Nun mögt ihr stolzen Feinde schrecken. Dans Brich an, du schönes Morgenlicht, un petit orgue hongrois se voit confié un espace d’improvisation dérivé d’un usage congrégatif, rappelant que ces sessions furent préalablement rodées en concert liturgique. Le diapason semble parfois un peu bas mais laisse les cuivres rayonner dans leur facture d’époque et permet au chœur d’émerger de ce bouillon d’harmoniques naturelles, supérieurement exécuté par le virtuose aréopage de Jean-François Madeuf, Henry Moderlak et Julian Zimmermann.
On imaginerait difficilement meilleur récit d’Évangéliste que la subtile narration véhiculée par Hans Jörg Mammel, une valeur sûre dans la galaxie baroque. À défaut de profondeur, le grain transparent de Raitis Grigalis permet du moins de ne pas lester le duo Herr, dein Mitleid affûté avec une Gunta Smirnova dont le timbre limpide éclaire tous les numéros confiés à la soprano. À l’écoute de Bereite dich, Zion, ou de Schlafe, Mein Liebster, on comprend que Flavio Ferri-Benedetti privilégie la caractérisation lyrique sur l’intériorité quitte à ornementer sa partie ; si l’on accepte une telle vitalité dramatique, rien n’interdit d’incarner ces airs dans une telle personnification.
Osera-t-on finalement déplorer une certaine incongruité, si ce n’est un paradoxe : alors que la Thomaskirche tire son lustre d’un chœur de garçons que dirigèrent les compositeurs ici rassemblés, tous les enregistrements réunis en ce coffret se cantonnent à des voix adultes : d’autant dommage pour un tel projet évoquant la venue du Divin Enfant ? À ce regret près, et malgré une valorisation éditoriale moins détaillée que les notices accompagnant les parutions originales, cette proposition propose à tout amateur du Baroque saxon un avantageux kit pour le pied du sapin.
Son : 9 – Livret : 6 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 7-9,5
Christophe Steyne
1 commentaires