Notre Dossier : Maeterlinck et ses musiciens

par

Maurice Maeterlick par J.-E. Blanche

A un siècle de distance, on a peine à imaginer l’immense gloire internationale dont bénéficia Maurice Maeterlinck, et dont l’apothéose fut le Prix Nobel de littérature qui lui fut décerné en 1911. Une gloire qui commença à s’estomper peu de temps après, et à laquelle il survécut largement, puisqu’il ne mourut qu’en 1949 dans sa quatre-vingt septième année, retiré depuis longtemps dans sa propriété niçoise d’Orlamonde après s’être réfugié aux Etats-Unis durant la Seconde Guerre mondiale.Une gloire que délimite assez exactement le quart de siècle s’étendant de 1893 à 1916, celui qui vit naître les oeuvres musicales, nombreuses et importantes, inspirées par son oeuvre. Mais après une longue éclipse, plus longue et de beaucoup que l’habituel purgatoire, lequel n’affecte d’ailleurs généralement pas les créateurs encore en vie, une redécouverte de Maeterlinck semble s’amorcer, illustrée par deux partitions importantes et récentes. Certains écrivains contemporains de Maeterlinck, tout aussi célèbres au début du vingtième siècle, comme Gabriele d’Annunzio ou Rabindranath Tagore (Prix Nobel 1913!), sont également tombés dans un quasi-oubli. Changement de mode, ou plus profondément de goût et d’esthétique: l’explication est-elle suffisante?...

Maeterlinck a été en son temps le représentant par excellence du courant symboliste dans la littérature de langue française. Le gouffre de la Première Guerre mondiale y mit brusquement fin, et les années 1920 opérèrent une volte-face brutale vers des horizons tout différents. Reste que les Symbolistes de langue allemande ne connurent pas de semblable disgrâce, que Stefan George n’est pas oublié, et que le rayonnement de Rilke surtout n’a fait que croître.

C’est à Paris que le Gantois Maeterlinck a connu très tôt la consécration, à moins de trente ans. Et c’est à Paris qu’après la cassure de 1914-18 la réaction anti-symboliste a été la plus violente. Sa Belgique natale lui est demeurée plus longtemps fidèle, mais il partage, dans notre pays tenaillé par les conflits communautaires, le sort difficile d’un Verhaeren, d’un Van Lerberghe, d’un Rodenbach (Georges, pas Albrecht), et j’en oublie certainement, tous Flamands d’expression française, tous liés aux courants symbolistes.

Maeterlinck, qui a inspiré tant de compositeurs, était lui-même peu sensible à la musique et avouait, à Debussy notamment, n’y rien comprendre. Mais précisément sa langue, tant au théâtre que dans la poésie lyrique, par sa discrétion extrême, par ses nuances exquises de camaïeu et de grisaille, par le mystère réticent de ses litotes, par son expression volontairement brumeuse, vague et inaboutie, laisse un total champ de liberté au musicien (comme à sa manière Verlaine) et jamais ne lui impose sa loi: c’est ce qu’a idéalement compris Debussy. Mais il ne faudrait pas croire qu’il n’a inspiré que des oeuvres à la limite du murmure, voire du silence, loin de là: quoi de plus somptueusement éclatant, par exemple, que l’Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas?

Il serait impossible, et d’ailleurs peu intéressant, de proposer un relevé exhaustif de toutes les oeuvres musicales inspirées par Maeterlinck, et nous nous bornerons aux plus connues, et aussi à celles qui mériteraient de l’être davantage.
Dans l’ordre chronologique, la priorité appartient au cycle des Serres chaudes composé par Ernest Chausson entre 1893 (année où Debussy entame son long travail sur Pelléas et Mélisande, qui s’étendra jusqu’en 1902) et 1896. Avant le tournant du siècle, on trouve dès 1897 le poème symphonique du compositeur américain d’origine alsacienne Charles-Martin Loeffler inspiré par La Mort de Tintagiles, et l’année suivante la musique de scène pour Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré. Moins de vingt ans plus tard, le juvénile essai d’Arthur Honegger inspiré par Aglavaine et Sélysette met un brusque point final à une flambée aussi brillante qu’éphémère. Après quoi il faudra attendre 1985...

Dans un dossier consacré au chef-d’oeuvre de Debussy, il est normal d’examiner tout d’abord “les autres Pelléas”, puis nous aborderons les autres oeuvres, opéras, pages symphoniques et mélodies. Notons que Debussy lui-même n’est jamais revenu à Maeterlinck, ce que leur brouille définitive suffirait à expliquer. Mais après la symbiose unique de Pelléas, sans doute était-il impossible et inutile d’ajouter quoi que ce soit...

Le Pelléas de Debussy, nous l’avons vu, n’a donc pas été le premier achevé, ni le premier à voir les feux de la rampe: il a été précédé d’une partition beaucoup plus modeste, mais néanmoins d’une grande beauté, la musique de scène composée par Gabriel Fauré pour les représentations londoniennes (en anglais) de la pièce de Maeterlinck à partir du 21 juin 1898. Elle fut écrite très rapidement le mois précédent, et pressé par le temps Fauré dut en confier l’orchestration à son disciple Charles Koechlin. Il y a dix-neuf séquences, brèves pour la plupart, utilisant un petit orchestre de théâtre. Mais la partition comporte quatre mouvements plus développés, que Fauré lui-même orchestra pour formation symphonique en 1901, et qui constituent la Suite op. 80 bien connue aujourd’hui. L’ample Prélude brosse un portrait tendre et méditatif de Mélisande dans un paysage solitaire, mais s’élève également à de puissantes tensions annonçant le drame à venir et fait entendre des fanfares de chasse d’abord lointaines signalant l’arrivée de Golaud dans la forêt. Une preste Fileuse évoque Mélisande au rouet au début du troisième Acte, une des scènes éliminées par Debussy. La charmante et populaire Sicilienne existait auparavant sous forme d’une pièce pour flûte et piano (opus 78) mais, bien que présente dans la musique de scène originelle, elle ne fut réorchestrée et intégrée dans la Suite qu’en 1909. L’œuvre culmine dans l’Adagio final évoquant la Mort de Mélisande, procession funèbre d’une sobre et indicible grandeur atteignant à l’émotion la plus poignante: nous y sommes déjà tout proches des plus grandes pages de Pénélope. Fauré ajouta pour les représentations londoniennes une page chantée, Mélisande’s Song, sur la fameuse Chanson des trois Soeurs aveugles également mise en musique par Sibelius (et, nous le verrons, sous une forme un peu modifiée par Zemlinsky), mais non par Debussy.

Durant l’été de 1902, Richard Strauss incita le jeune Arnold Schönberg à tirer un opéra de la pièce de Maeterlinck, et il semble proprement incroyable que tous deux paraissent avoir ignoré la création toute récente du chef-d’oeuvre de Debussy. Quoi qu’il en soit, Schönberg choisit d’écrire plutôt un vaste poème symphonique, auquel il travailla du 28 juillet 1902 au 4 juillet 1903, et dont il dirigea lui-même la création à Vienne le 26 janvier 1905. Pelléas et Mélisande, son opus 5, est sa toute première partition orchestrale, bien qu’une grande partie de son gigantesque oratorio Gurrelieder fût déjà orchestrée. Quoi qu’il en soit, ce colossal poème symphonique de trois quarts d’heure de durée, faisant appel à une formation exceptionnelle (les bois par quatre et par cinq, huit cors, quatre trompettes, cinq trombones, et le reste à l’avenant!) témoigne d’une maîtrise orchestrale et polyphonique incroyable de la part d’un quasi-néophyte. Alban Berg, dans une magistrale analyse, a pu y reconnaître le plan d’une libre symphonie en quatre mouvements enchaînés, dans le ton principal de ré mineur, le préféré du Schönberg tonal. Celui-ci reconnaissait n’avoir pas voulu rivaliser avec la subtilité des atmosphères de Debussy, mais en revanche il estimait avoir traité le sujet de manière plus lyrique et plus mélodique, ce qui est sans doute vrai selon les critères de l’esthétique germanique: rappelons que Strauss lui-même, découvrant l’opéra de Debussy, s’exclama: “Mais il n’y a rien! ...rien!”.
Malgré son immense complexité (et les problèmes commencent dès la polyphonie broussailleuse et enchevêtrée du début!), la partition de Schönberg est un singulier chef-d’oeuvre, basé sur le principe wagnérien des leitmotivs, sur la présentation, puis la transformation de thèmes incarnant successivement Mélisande (mélodie de hautbois presque naïve), Golaud (thème plus grave aux cors) et enfin Pelléas (idée d’un juvénile élan à la trompette). Schönberg suit les péripéties de l’action de manière très précise, selon les principes du poème symphonique straussien, mais sa musique est infiniment plus élaborée et plus complexe que celle de Strauss. L’épisode des souterrains donne lieu aux tout premiers glissandi de trombones jamais écrits, la scène d’amour au grand mouvement lent central, mais l’oeuvre culmine sans doute dans l’évocation de la mort de Mélisande, avec l’ostinato lancinant et glacial des gammes descendantes des bois dans l’aigu.

C’est pour une représentation de la pièce de Maeterlinck donnée au Théâtre suédois d’Helsinki le 17 mars 1905 que Jean Sibelius composa à son tour une musique de scène, la plus belle et la plus importante de celles qu’il écrivit à l’exception de son ultime chef-d’oeuvre inspiré vingt ans plus tard par La Tempête de Shakespeare. Sa partition pour Pelléas et Mélisande, son opus 46, comporte neuf morceaux pour petit orchestre, et par son propos elle appelle la comparaison avec celle de Fauré et pas du tout avec celle de Schönberg. Cependant, la mystérieuse héroïne est ici incarnée par un frêle hautbois, comme chez Schönberg! Sibelius, le maître évocateur de la nature, s’attache sans doute moins aux personnages qu’aux paysages, approche parfaitement légitime, et la troisième pièce, Au bord de la mer, évoque en deux minutes à peine la présence menaçante de l’élément avec une maîtrise stupéfiante. Sibelius a mis lui aussi en musique la Chanson des trois Soeurs aveugles, et, dans la suite d’orchestre, la voix est remplacée par deux clarinettes, dans le climat d’une vieille ballade populaire où le compositeur excellait. On rapprochera le numéro 4 (Près de la fontaine dans le parc) du début du deuxième Acte de l’opéra de Debussy, tandis que la Fileuse du numéro 7 (Mélisande au rouet) exprime des sentiments beaucoup plus sombres et prémonitoires que la pièce de Fauré, au point d’évoquer plutôt la Marguerite au rouet de Schubert. Le numéro 9 (La mort de Mélisande) est plus intériorisée, plus discrète que chez Fauré, mais non moins émouvante.

Avant de quitter Pelléas et Mélisande, signalons une Ouverture totalement oubliée du compositeur anglais Cyril Scott (1911) et précisons que les partitions de Fauré, Sibelius et Schönberg forment la matière d’un très beau concert, qu’a dirigé notamment Daniel Barenboim.
Une dernière constatation: en dehors de Debussy, qui lui a consacré des accents si bouleversants, aucun compositeur inspiré par Pelléas n’a fait la moindre place au vieux Roi Arkel...

Paul Dukas, portrait non daté B.N.F

Parmi les autres opéras inspirés par Maeterlinck, on citera évidemment au tout premier plan le chef-d’oeuvre de Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue, terminé à la fin de 1906 au bout de sept ans de dur labeur (on sait quel perfectionniste lent et acharné était Dukas, qui “ne se résignait qu’au chef-d’oeuvre”), et créé à l’Opéra-Comique le 10 mai 1907, avec, cette fois-ci, Georgette Leblanc dans le rôle principal, conformément aux voeux de Maeterlinck. Celui-ci avait conçu d’emblée sa pièce comme livret d’opéra (différence essentielle d’avec Pelléas), et Dukas s’enthousiasma pour elle dès sa parution en 1899, mais il fallut d’abord qu’Edvard Grieg renonçât à l’option qu’il avait prise. Chef-d’oeuvre, avons-nous dit, et pourtant rarement donné: c’est que le rôle d’Ariane, conçu pour un grand soprano dramatique, est l’un des plus écrasants du répertoire: elle chante presque tout le temps, et la partition dure deux heures. On se demande comment s’en tira Georgette Leblanc, aux moyens vocaux limités, paraît-il...
Le livret de Maeterlinck est typique de l’esthétique symboliste. Ariane, c’est de par son nom même la lumière, son fil conducteur dans le sombre Labyrinthe du château de Barbe-Bleue, où les Vierges athéniennes attendent d’être offertes au sacrifice du Minotaure-Barbe Bleue, pareillement muré dans sa solitude. Mais contrairement à la tragique héroine de l’opéra de Bartok quelques années plus tard, contrairement à cette Judith au nom également lourd de sens (elle ne pouvait que vaincre ou tuer Barbe Bleue-Holopherne), Ariane survit, au prix d’un départ solitaire vers une liberté dont les épouses captives ne veulent pas, car elles en ont peur: Maeterlinck avait donné à sa pièce le sous-titre de la Délivrance inutile. Ariane est donc ici également Thésée, voire Antigone (“J’ai obéi plus vite, mais à d’autres lois que les siennes”), mais cette femme d’action intrépide, cette libératrice aussi héroïque que vaine, se différencie de la Leonore beethovénienne, car si celle-ci était mue par l’amour conjugal, la chaste Ariane agit par pur idéal, par amour de la Liberté et de la Vérité. Barbe-Bleue, quant à lui, ne chante que pendant cinq minutes à la fin du premier Acte. Absent du deuxième, il est vaincu et muet au troisième, dans lequel la Nourrice, jusque là confidente et complice d’Ariane, disparaît totalement. Le Peuple demeure une entité extérieure et potentiellement hostile de “barbares” au sens originel du terme, les épouses prisonnières de pauvres esclaves heureuses de leur captivité d’une manière presque masochiste. Incomprise, profondément triste en sa fierté, Ariane repart donc seule: cette féministe précoce apporte bien trop tôt dans l’histoire le royal cadeau de la libération.

Contrairement à Debussy, Dukas a écrit une partition somptueusement symphonique: son tempérament propre l’y portait autant que la nature du livret. L’architecture tonale, organisée autour des pôles de Fa dièse majeur et de son relatif par enharmonie mi bémol mineur, n’est pas moins magistrale que l’architecture dramatique. Le premier Acte se déroule la nuit, mais dans la lumière des lustres allumés, le deuxième dans l’obscurité, bien qu’il fasse jour dehors (mais la lumière fait une fulgurante apparition tout à la fin de cet Acte), le troisième, sorte de reprise librement variée du premier, retrouve la nuit. Parmi les pages les plus géniales, on citera l’extraordinaire scène des Pierreries au premier Acte, en forme de Variations de timbres et d’harmonies-couleurs, une scène qu’Olivier Messiaen admirait tant. Mélisande est dans cette oeuvre l’une des épouses captives, et à sa première apparition Dukas n’a pas manqué de rendre un discret hommage à son ami Debussy sous forme d’une brève citation du thème de Mélisande dans Pelléas...

Nous étant quelque peu attardés sur le chef-d’oeuvre de Dukas, nous pourrons être beaucoup plus brefs quant à la Monna Vanna créée au même Opéra-Comique en 1909, oeuvre bien oubliée d’un compositeur qui l’est tout autant, Henry Février. Par contre, il est infiniment regrettable que des problèmes de droits d’auteur aient obligé deux ans plus tôt Serge Rachmaninov à abandonner le projet d’un opéra sur cette même Mona Vanna après en avoir achevé seulement le premier Acte en partition chant-piano: ce fragment était plus que prometteur! Il faut signaler encore que Lili Boulanger, à sa mort prématurée en 1918 à l’âge de vingt-quatre ans, laissait “presque achevé”, paraît-il, du moins en version chant-piano, un opéra sur La Princesse Maleine. Mais sa soeur Nadia a décidé que le manuscrit n’en serait rendu accessible que cent ans après la mort de Lili: attendons 2018...

Passant à l’orchestre, nous trouvons dès 1897 un vaste poème symphonique d’après La Mort de Tintagiles dû au compositeur américain d’origine alsacienne Charles-Martin Loeffler, un des premiers musiciens impressionnistes du Nouveau Continent. La même pièce inspira également un Bohuslav Martinu âgé de moins de vingt ans pour son tout premier essai de Poème symphonique (1911), demeuré inédit et sans doute destiné à le demeurer. C’est un Maeterlinck tout différent, celui de La Vie des Abeilles (1901) qui inspira un tout jeune Stravinski, encore élève de Rimski-Korsakov, pour son Scherzo fantastique de 1907-08, page brillante et virtuose, très post-romantique, et ne laissant nullement prévoir Petrouchka ou Le Sacre du Printemps. La féérie L’Oiseau bleu inspira une importante musique de scène à Engelbert Humperdinck (1912), spécialiste des contes de fées musicaux, son populaire Hänsel und Gretel à l’appui, et la même pièce avait dicté un an plus tôt une Ouverture au jeune compositeur tchèque Jaroslav Kricka. Enfin, dans les dernières semaines de 1916, un Arthur Honegger encore étudiant au Conservatoire de Paris consacrait sa première et modeste tentative orchestrale, encore très debussyste, à un Prélude pour Aglavaine et Sélysette, dernière partition maeterlinckienne avant très longtemps...

Debussy, au piano chez les Chausson

Ernest Chausson fut le tout premier compositeur qui acheva une oeuvre d’après Maeterlinck, un admirable cycle de cinq Mélodies d’après le premier recueil publié par le poète en 1889, Serres chaudes. Lassitude date de juin 1893, Serre d’ennui du mois suivant et Debussy commença Pelléas en août!, et les trois autres suivirent en février-mars 1896. Chausson restitue à miracle l’atmosphère languide et vénéneuse, délétère et décadente, de cette poésie très fin de siècle”: Serres chaudes est l’un de ses chefs-d’oeuvre. On passera plus rapidement sur L’Infidèle de Déodat de Séverac (1899), d’après la deuxième des Douze Chansons publiées par Maeterlinck en 1896, et sur une Chanson de Max d’Ollone, pour accorder davantage d’attention à deux admirables Mélodies de Lili Boulanger, Attente (1910) et Reflets (1911). Passant le Rhin, nous trouvons en cette même année 1911 l’un des plus singuliers et énigmatiques chefs-d’oeuvre d’Arnold Schönberg, sa deuxième et dernière incursion chez Maeterlinck après Pelléas et Mélisande: une Mélodie de quatre minutes à peine, Herzgewächse (Feuillages du Coeur) pour un soprano quasi-mythique (du sol dièse grave sous la portée au contre-fa de la Reine de la Nuit!) et un accompagnement unique en son genre, irréel et glauque: célesta, harmonium et harpe. Cette pièce fut publiée dans l’unique Almanach du “Blaue Reiter” (le Cavalier bleu), mouvement artistique au sein duquel Schönberg exposa également les nombreuses toiles qu’il peignit à cette époque.

En 1910, le beau-frère et ancien maître de Schönberg, Alexander von Zemlinsky, mit en musique quatre des Quinze Chansons (1900) de Maeterlinck dans la traduction allemande: il s’agit des numéros 1, 2, 3 et 5 du recueil définitif, orchestrés en 1913 et créés dans cette version au cours du mémorable concert viennois du 31 mars de cette année, durant lequel deux des Altenberg Lieder du jeune Alban Berg déchaînèrent une tempête. Les Lieder 4 et 6 furent composés en août de cette même année et orchestrés l’année suivante, mais leur création sous cette forme n’eut lieu qu’en 1924. Le cycle entier est un chef-d’oeuvre de féérie, d’atmosphère légendaire et de spiritualité, juxtaposant le diatonisme modal archaïque évoquant de vieilles ballades et le chromatisme le plus poussé, voire le plus déliquescent. Le thème des jeunes filles captives, solitaires, et, dans les deux premiers Lieder, aveugles (cécité obsessionnelle et hautement symbolique chez Maeterlinck!) dominent l’ensemble, sauf dans le tendre et mystique Cantique de la Vierge (n° 3). Et, après de longues décennies d’oubli, ce sont encore Les Aveugles, l’une des premières pièces de Maeterlinck, qui ont inspiré récemment deux compositeurs: l’Allemand Paul-Heinz Dittrich dans sa Kammermusik VII (1985) et l’Autrichien d’origine suisse Beat Furrer dans son opéra Die Blinden (2000). Seraient-ce là les prémices d’une résurrection pour un poète qui connut une telle gloire il y a un siècle?...

Harry Halbreich
Avril 2002

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