Oeuvres pour alto de Hindemith interprétées avec fougue et sensibilité

par

Paul Hindemith (1895-1963) : Sonates pour alto et piano, Op. 11 n° 4 (1919) et Op. 25 n° 4 (1922) ; Sonate pour alto seul, Op. 25 N° 1. Maria Shetty, alto ; Monika Wilińska-Tarcholik, piano. 2024. Textes de présentation en polonais et anglais. 45’24’’. Dux 2074

Cette parution repose une fois de plus la question de savoir si la  postérité n’a pas été injuste avec Hindemith, souvent considéré comme trop moderne par les conservateurs et pas assez pour les progressistes ? A-t-on commis l’erreur de ne voir en lui qu’un excellent artisan, capable de faire de la musique certes impeccablement construite mais sèche et mécanique ?

On a donc toutes les raisons d’être reconnaissantes à deux excellentes musiciennes polonaises, l’altiste Maria Shetty (alto solo de l’Orchestre de Radio-Télévision Polonaises) et la pianiste Monika Wilińska-Tarcholik -toutes deux enseignantes à l’Académie de Musique Krzysztof Penderecki de Cracovie- de s’être penchées sur un pan substantiel de la création du compositeur. Avant de s’attarder sur cet enregistrement, il vaut la peine de rappeler que Hindemith était lui-même un virtuose de l’alto, instrument dont il explora toutes le possibilités dans des oeuvres souvent techniquement très exigeantes, comme celles qui nous sont offertes ici, dues à un compositeur encore très jeune. 

C’est par la belle 1ère Sonate pour alto et piano, écrite alors que le compositeur servait dans les rangs de l’armée allemande durant la Première Guerre mondiale, que s’ouvre ce programme. Il flotte sur le premier mouvement, Fantasie, un net parfum debussyste. La musique, simple et éloquente, est superbement lyrique -à mille lieues du Hindemith anguleux et expressionniste qu’on s’imagine traditionnellement- avec des moments joliment orientalisants et un indicible parfum de nostalgie. Le bref deuxième mouvement  est un Thème et variations où le compositeur combine lyrisme et maîtrise du contrepoint, les deux instruments ayant fort à faire. Passionné et franc, le Finale s’ouvre sur un retour de l’atmosphère debussyste couplée à une fine pointe de nostalgie. Après un épisode central de style sévère et contrapuntique, la mélodie du début revient avant que le mouvement ne se termine sur un étonnant mélange de passion et de sérieux, brillamment enlevé par les deux interprètes aussi sensibles à la maîtrise formelle du compositeur qu’à sa fine sensibilité.

Créée par le compositeur en 1922 à Cologne et pièce centrale du répertoire moderne de l’instrument, la Sonate pour alto seul, Op. 25/1 est très originale dans son ordonnance en cinq mouvements lent-vif-lent-vif-lent et dans sa manière cherchant à concilier sincérité et sobriété de l’expression et exigeante virtuosité. Le mouvements  rapides sont empreints de vitalité et de cette Motorik de l’époque alors les mouvements lents,  chantants et  lyriques, exigent une attention constante à la qualité du son. Maria Shetty impressionne ici par sa maîtrise de la ligne mélodique, son vibrato très judicieusement employé, sa justesse et ses doubles cordes impeccables. C’est bien sûr le très bref, expressionniste et rageur quatrième mouvement intitulé Rasendes Zeitmass. Wild.Tonschönheit ist Nebensache (Tempo enragé. Sauvage. La beauté sonore est secondaire) qui marqua le plus les esprits à l’époque et Maria Shetty, qui en domine parfaitement les difficultés techniques, en offre une version pleine de caractère avant de conclure l’oeuvre sur un dernier mouvement lent apaisé.

Ecrite cette même année 1922 et créée par Hindemith lui-même l’année suivante, la Sonate op. 25/4 ne fut publiée qu’en 1976, 13 ans après la mort du compositeur. Très exigeante pour les deux interprètes, elle semble annoncer un virage vers le néo-classicisme et la Neue Sachlichkeit, ce style volontairement simplifié vers lequel Hindemith se tourna à la fin des années 1920. L’oeuvre s’ouvre sur un Sehr lebhaft. Markiert und kraftvoll où l’on retrouve cette manière objective à laquelle on associe souvent Hindemith. Suivent alors un thème lyrique, mais aussi des moments déchaînés qui annoncent étonnamment Chostakovitch (qui n’avait alors que 16 ans). Le mouvement lent est à la fois simple, lyrique et expressif. Quant au Finale, la partie de piano assez mécanique, le caractère ironique de la musique et l’espèce de galop qui constitue la deuxième moitié du mouvement semblent étonnamment proches du style grinçant de Prokofiev (né en 1891) ou de Chostakovitch.

Si on ne peut que saluer les grandes qualités de l’interprétation et l’excellence de la prise de son, cette parution est un peu frustrante. Compte tenu de ce que les enregistrements remontent à 2013-2104 (pourquoi avoir attendu si longtemps pour les publier ?) pour en arriver à un cd d’à peine 45 minutes, pourquoi ne pas avoir profité de ce long intervalle pour réaliser une intégrale de l’oeuvre pour alto seul et alto et piano de Hindemith qui eût tenu sur deux cd ? 

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 9 - Interprétation 9

Patrice Lieberman

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