Fractales parle de nature, de technologie et de pulsion de vie

par

Claude Ledoux (1960 -), Salvatore Sciarrino (1947-), Maurizio Azzan (1986-), Elis Hallik (1986-) : Japanese e-mails. Ensemble Fractales. 64’05 – 2022 – Livret en : français et anglais. Cypres. CYP8615.

Choisies parmi un répertoire peu à peu enrichi au long de dix ans d’expériences dans la musique de création, les œuvres que Fractales sélectionne pour son premier portrait discographique, témoignent de son appétence pour la découverte d’œuvres actuelles, nées du travail de compositeurs établis ou en devenir (le quintette organise sa propre résidence, Be Connect, manière de soutenir et connecter la jeune génération) : de la musique de chambre, pour un jeu sans direction, par cinq musiciens arrivés de France, d’Ouzbékistan ou du Brésil, tous au cœur ancré à Bruxelles.

Les trois mouvements d’érotique-lancinante de Claude Ledoux (une citation obsédante -au même titre qu’explosante-fixe de Pierre Boulez- de l’Amour fou d’André Breton) sont menés par la flûte traversière (Renata Kambarova) dont les intonations capturent l’attention, et maintenus dans cette ouate douce dont Ledoux sait user sans user -avec la subtilité et la force de l’enjeu qui repose sur la tête de cette « beauté convulsive » : caresser et se reproduire.

Avec ariso a cinque, Salvatore Sciarrino, « né libre » et autodidacte, dilue l’instrument, les reflets sonores de son souffle grave, dans une mélodie qui s’échappe : si sa musique peut sembler immobile, presqu’évanouie, avec ses sons qui prennent dans la nature de quoi créer l’artifice -puis la minéralité-, c’est pour mieux susciter l’illusion, celle d’un silence, habité et plein de vie.

Maurizio Azzan, un des bénéficiaires du premier Be Connect, est (compatriote et) élève de Sciarrino à l’IRCAM (c’est lui qui révise of other spaces en 2019 pour l’Ensemble Fractales) et on retrouve l’influence du maître dans cette pièce (la plus longue du disque, intrigante et absorbante) qui commence autour d’un discours chuchoté entre violon et piccolo, dos à dos au centre de la scène, peu a peu conforté par les autres instruments, qui prolongent, puis dépassent et éclatent ce premier cercle, remodelant les frontières -dont on pressent qu’elles n’en sortiront pas définitives- et déstabilisant nos certitudes perceptives.

Elis Hallik, venue d’Estonie, lit, comme beaucoup d’entre nous La vie secrète des arbres de l’ingénieur forestier allemand Peter Wohlleben qui, à défaut d’être parfaitement scientifique, attire utilement notre attention sur cette forme de vie dont la discrétion fait parfois oublier le caractère fondamental : to become a tree, tout en textures, parfois rugueuses comme l’écorce, souvent fluides comme la sève, appuie la désapprobation de la compositrice de l’attaque de nos intuitions par un monde si technologique.

Il ne faut chercher d’autre fil rouge dans cette première (et réjouissante) production de Fractales que le plaisir de jouer et faire entendre une musique qui cherche, chaque compositeur à sa façon, et ouvre nos sens -sur ce qu’elle nous fait entendre, comme sur notre nature et ce que nous en faisons.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 7 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.