Le Stabat Mater de Pergolèse et La Passion de Haydn, revisités par Julien Chauvin

par

Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736) : Stabat Mater P.77 (version parisienne de 1769). Joseph Haydn (1732-1809) : Symphonie en fa mineur « La Passione » Hob. I:49. Jodie Devos, soprano. Adèle Charvet, mezzo-soprano. Maîtrise de Radio France. Julien Chauvin, Le Concert de la Loge. Avril 2021. Livret en français, anglais, allemand ; paroles en latin traduit en français et anglais. TT 53’13. Alpha 784

Quand les théâtres parisiens se taisaient pendant les grandes fêtes liturgiques, le Concert Spirituel prenait le relais pour y diffuser la musique sacrée telle que ce Stabat Mater qui y fut joué chaque Semaine Sainte, de 1753 à 1790, année de dissolution de l’institution. Les annales recensent plus de quatre-vingts prestations, parfois parcellaires, sous divers arrangements et alternatives vocales (tant féminines que masculines), sollicitant les chanteurs vedettes de la capitale. La mouture chorale de Pancrace Royer nous est parvenue incomplète, et les archives ne conservent aucun visage précis de ce que l’on put entendre aux Tuileries, ouvrant ainsi le champ des conjectures. « Elles nous prouvent qu’aucune des exécutions de cette œuvre ne devait ressembler à une autre et que les interprètes d’alors, avec leur sensibilité et leur culture propre, modifiaient et adaptaient ce Stabat Mater selon leur goût » explique dans la notice Julien Chauvin, qui s’est appuyé sur divers sources et manuscrits pour nous offrir sa reconstitution.

Celle-ci redistribue les parties vocales entre deux solistes (soprano et mezzo) et un double-chœur de même tessiture, ici confié aux jeunes gens de la Maîtrise de Radio France. Fidèle au contexte invoqué, la prononciation opte pour un latin à la française en registre élevé. L’orchestre se distingue tantôt par sa souplesse toute chorégraphique (Quae moerebat et dolebat), tantôt par son accentuation rhétorique (Cujus animam gementem). Jodie Devos et Adèle Charvet investissent leur partition avec art et caractère, ce qui singularise les interventions séraphiques et décantées du chœur juvénile, parfois dilué (Pro peccatis suae gentis) et souvent édulcoré. Le Eia Mater fons amoris distend des chair mollies ; le Fac ut ardeat cor meum, malgré un tempo fiévreux, manque de projection et de netteté… Entre piétisme sophistiqué, legato confit et complainte émolliente, le ton et le style de cet enregistrement peinent à trouver leur unité face à ce chef d’œuvre d’affliction, et convainquent modérément. Peut-être mérite-t-il d’être apprivoisé patiemment, pour s’imposer face à une discographie plus conventionnelle.

En complément, une symphonie de circonstance : La Passion de Haydn, elle-aussi reconfigurée par Julien Chauvin qui substitue cors et hautbois par un orgue, discret. Lequel ne parvient pas à recréer le relief et la texture des vents qu’il remplace, mais préserve l’introspection du sujet. L’effectif chambriste d’une petite dizaine de cordes s’avère conforme à ce que le compositeur connut à la Cour Esterházy, toutefois le relief et la dynamique confinent à la timidité. Cet opus typique du Sturm und Drang tend à s’affadir sous une direction curieusement éteinte, d’une pâleur de linceul, en dépit de la célérité accordée à l’Allegro di molto et au final. On demeure loin de la réussite que Le Concert de la Loge nous avait offerte dans son intégrale des six « Parisiennes » pour le label Aparté. Pour cet opus, on pourra en rester à l’antique et intense Harry Blech (Decca), à Neville Marriner (Philips), Ton Koopman (Erato), Trevor Pinnock (Archiv) ou plus récemment Giovanni Antonini (Alpha). Tel quel, ce CD explore d’intéressantes voies de traverse mais les options interprétatives satisferont-elles tous les auditeurs ? On regrette d’en douter.

Son : 8 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 5 (Haydn) – 7,5 (Pergolèse)

Christophe Steyne

 

 

 

 

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