Cadeau d’anniversaire avec les symphonies de George Enescu pour l’Orchestre national de France
George Enescu (1881-1955) : Symphonies n°1 à n°3 - Rhapsodies roumaines n°1 et n°2. Orchestre national de France, direction : Cristian Măcelaru. 2022 et 2023. Livret en anglais et allemand. 3 CD DGG. 506916
L’Orchestre national de France célèbre ses 90 ans et fait paraître, en guise de cadeau d’anniversaire, ce coffret regroupant les 3 symphonies achevées de George Enescu avec en introduction les deux joviales et bigarrées Rhapsodies roumaines sous la direction de Cristian Măcelaru, son directeur musical. L’idée est excellente et elle associe la sensibilité nationale du chef d’orchestre natif de Timișoara avec la culture française si importante dans l'œuvre du grand compositeur roumain, Parisien de cœur !
Très peu présent au concert et au disque, le triptyque de ces symphonies composées dans les 20 premières années du XXe siècle est pourtant un immense accomplissement créatif témoignant du génie absolu du compositeur. Il est permis de considérer la Symphonie n°2 comme l’un des très grands chefs d'œuvres de la musique du XXe siècle !
L’inventivité harmonique et mélodique d’Enescu caractérise un geste créatif à la fois narratif par son élan et poétique par le raffinement magique des timbres. Certes, on entend des réminiscences de la musique française avec une finesse et une élégance dignes de Ravel, Dukas et Debussy et une capacité suggestive qui évoque Vincent d’Indy (on pense souvent à la magie presque picturale du Poème des rivages). L’ensemble est mâtiné d’un élan pas si éloigné d’un Franz Liszt ou d’un Richard Strauss (dont l’influence se ressent en particulier dans la Symphonie n°1) sans oublier la richesse étincelante d’une orchestration qui fait songer à Rimski-Korsakov. La Symphonie n°2 est fabuleuse par cette capacité du compositeur à jouer de l’orchestre avec ravissement et puissance dans un monde sonore savoureux, on ne se lasse pas du second mouvement “Andante Giusto” qui ouvre un monde de couleurs chaudes. En apothéose, l’imposante Symphonie n°3 convoque un effectif orchestral mahlérien avec ses bois par 4, ses 6 cors, ses 3 tubas et ses 6 percussionnistes, et les pupitres en grand tutti sont renforcés d’un piano, d’un orgue et d’un choeur dans son finale. Toujours très narrative, cette partition alterne tensions et drames mais avec des éclaircies à la subtilité harmonique enjôleuse et ensorcelante. Le second mouvement “Vivace ma non troppo” est d’un brio extraordinaire porté par un mouvement vif et énergique que transcende cette maîtrise absolue de l’orchestration dans les contrastes thématiques et la subtilité des détails et des nuances. Le final, avec choeur, aéré et apaisé étonne un temps, mais clôt cette partition dans un ensorcellement des timbres et un raffinement onirique total.
Les deux Rhapsodies roumaines et leur pittoresque orchestral en technicolor paraissent presque faiblardes par rapport à un tel corpus symphonique, mais heureusement elles sont présentées en introduction, permettant à l’oreille de se concentrer sur les symphonies.
Dans le livret, Cristian Măcelaru nous parle de son rapport au compositeur qu’il qualifie en “héros personnel”, et de la compréhension du musicien qui est désormais la sienne. La discographie des symphonies n’est pas pléthorique mais de qualité avec d’excellentes gravures signées Lawrence Foster (Warner), Hannu Lintu (Ondine), Cristian Mandeal (Arte Nova), Horia Andreescu (CPO) et Guennadi Rojdestvenski (Chandos). Cependant, la vision d’ensemble, la hauteur de vue et la rigueur de Cristian Măcelaru font de ces interprétations une référence incontournable. Notons que l’Orchestre national de France est excellent et semble hypnotisé par cette musique si proche de sa sensibilité française.
Son : 9 Notice : 8 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot
Chronique réalisée sur base des fichiers numériques