Orgue en duo (violon, trompette ou… accordéon) : trois nouvelles parutions

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Du post-romantisme germanique jusqu'à nos jours, dans ces trois disques les tuyaux sont en duo. Avec accordéon autour d'accueillantes créations polonaises, avec trompette dans un répertoire contemporain qui titre la quête spirituelle, avec violon dans un programme allemand début du XXe siècle.

AerOphonic. Musique pour accordéon et orgue. César Franck (1822-1890) : Prélude, Fugue et Variation Op. 18. Maciej Zakrzewski (*1988) : Silent Easter ; Speeches ; Die Ganzen Welt. Paweł A. Nowak (*1985) : Iwonka’s groove ; Iwonka’s dance in a dream ; Siódemka Babci Iwonki ; Babcia Iwonka’s Samba. Paweł A. Nowak, accordéon. Maciej Zakrzewski, orgue de l’église św. Andrzeja Boboli de Gdynia (Pologne). Mai 2021. Livret en polonais, anglais. TT 60’01. Acco Music 004/2021

Spécialiste de l’œuvre de Naji Hakim auquel il consacra sa thèse doctorale et un CD en 2018, Maciej Zakrzewski avait déjà intéressé par son album Time to Time enregistré en août 2019 à Łódź pour le label Ars Sonora. La réflexion sur le temps, la vie, le discours musical, y croisait un regard critique sur la réalité virtuelle et les réseaux sociaux, au gré d’un propos virtuose (Like) et de séquences construites avec intelligence, malice (Face to book ; To be or not online), ménageant d’agréables développements poétiques. Ce nouvel album prolonge cette vision humaniste, autour de la symbolique de l’arbre : à la fois repère de fixité et témoin vivant dans ce qui l’environne. Affaire de racines aussi, qui assume son héritage culturel et son terroir (Pâque silencieuse, puis une évocation de danses de la tablature d’Oliwa). La province poméranienne s’ouvre au monde dans un vaste Die Ganzen Welt de vingt minutes. Du grégorien au jazz, voilà un creuset postmoderne qui pourrait se fourvoyer mais séduit incessamment par son inspiration, ses tournures, et l’heureux mariage de l’accordéon et des tuyaux. En l’occurrence une console de 35 jeux à traction pneumatique, construite en 1986 (quel dommage que le famélique digipack n’en dise rien !)

La tradition s’exprime encore et enfin dans quatre brèves mais combien accrocheuses saynètes tirées de la musique que Paweł A. Nowak composa pour le film d’animation Contes de mamie Iwonka, puisant aux rituels et coutumes cachoubes. On souscrit des deux mains à cet hommage patrimonial traduit en irrésistibles et savoureuses chorégraphies. Précédé par un attendrissant arrangement du Prélude, Fugue et Variation du Pater Seraphicus, voici un disque de mémoire, néanmoins actuel et épris de libre expression, de généreux partage. Le solennel grand orgue, le populaire piano à bretelles s’allient pour un voyage sincère, ému, convivial, à hauteur d’Homme : chaleureusement recommandé.

Son : 8,5 – Livret : 4 – Répertoire & Interprétation : 9

Spiritual Quest. Rolf Wallin (*1957) : Elegi. Corrado Maria Saglietti (*1957) : Three Psalms for trumpet and organ. André Jolivet (1905-1974) : Arioso barocco. Henri Tomasi (1901-1971) : Variations grégoriennes. Einojuhani Rautavaara (1928-2016) : Hymnus. Harald Genzmer (1909-2007) : Sonata for trumpet and organ. Ivan Boumans (*1983) : Spiritual Quest. Ádám Rixer, trompette. Maurice Clément, orgue de la Salle philharmonique de Luxembourg. Mai 2019. Livret en anglais, allemand. TT 63’20. Aeolus AE-11251

Un panorama pour trompette et orgue, empruntant à diverses personnalités européennes du répertoire contemporain. Le lancinant Elegy (1979) que le Norvégien Rolf Wallin dédia à la mémoire de sa sœur laisserait d’abord penser que le programme va se complaire dans un dolorisme mièvre. Mais « Spiritual Quest » se comprend aussi comme une dynamique, un potentiel d’accomplissement tels que l’illustre la pièce qu’Ivan Boumans écrivit spécialement pour cet enregistrement : elle s’inspire des séquences de Kübler-Ross qui supposent cinq états psychologiques après le deuil, du déni à l’acceptation. Même courbe émotionnelle pour les trois psaumes du corniste italien Corrado Maria Saglietti, déjà gravés voilà cinq ans à Berne par André Schüpbach et Ekaterina Kafanova chez Gallo, et qui reçoivent ici une interprétation fine et précise mais trop pâle côté tuyaux -surtout les deux premiers volets. En revanche, Hymnus du Finlandais Rautavaara se love dans un parcours circulaire qui revient au climat transi qui l’initie. Le schéma de la Sonate de Genzmer (élève de Paul Hindemith) épouse une conventionnelle forme quadripartite ; sa présence en cette anthologie se justifie par le choral protestant Aus tiefer Not. Chronologiquement, le programme remonte à Jolivet et Tomasi par deux œuvres déjà présentes dans le Tanz-Fantasie de Thierry Escaich avec Éric Aubier (Indesens, 2007).

Sur une thématique voisine, l’album Distant light de Jānis Porietis et Ilze Reine nous a récemment envoûtés sous sa magie enveloppante. Inversement, une acoustique mate et ordinaire, un orgue subtil mais maigrement capté ne permettent pas de s’immerger dans la quête spirituelle qui fédère le présent disque. Trois claviers (et une partie du pédalier !) en boîte expressive, certains jeux du Positif et du Récit eux-mêmes placés sous volets à l’intérieur de ces boîtes : les 83 jeux du Schuke disposent des ressources et gradations dynamiques propices aux plus délicats effets de volume. Mais le résultat semble trop lustré, prudent et dosé à l’homéopathie. Avec le talent qu’on leur connaît, les deux musiciens actifs au Luxembourg (Ádám Rixer premier pupitre de la Philharmonie, Maurice Clément en résidence à l’orgue du lieu et professeur au Conservatoire) n’ont rien à se reprocher en termes de virtuosité ou de sensibilité, mais le récital laisse sur sa faim : faute de caractère, faute de relief. Plusieurs écoutes ne nous ont pas permis d’entrer au cœur des œuvres, qui se dérobent à l’oreille, quoiqu’on en perçoive le substrat et l’agrément. Même en mode SACD, la captation apparaît en deçà des standards de l’audiophile label Aeolus. Lequel nous a tant habitués à l’excellence de ses productions qu’on ressortirait déçu de cette réalisation au demeurant honorable et intéressante.

Son : 7,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 7-8 – Interprétation : 8,5

Joseph Haas (1879-1960) : Kirchensonaten no 1 en fa majeur, no 2 en ré mineur Op. 62. Choralfughetten no 3, 4, 13, 17, 21, 26, 31, 33, 34, 35. Praeludium XI en mi majeur. Max Reger (1873-1916) : Air nach dem Choralvorspiel O Mensch bewein dein Sünde gross. Der geigende Eremit [Vier Ton-dichtungen nach Arnold Böcklin]. Josef Renner (1868-1934) : Moderato de la Kanzone en sol majeur Op. 56 no 2. Adagio du Interludium en fa majeur Op. 85. Sreten Krstič, violon. Norbert Düchtel, Ludwig Schmitt, orgue de l’église Sainte Walburge de Beilngries. Avril 2021. Livret en français (traduction partielle), anglais, allemand. TT 51’43. TYXart TXA 19131

Figure marquante de la vie musicale allemande, Haas occupe les deux tiers de ce disque. Il exerçait à l’Académie de musique de Munich quand au milieu des années 1920 il écrivit ses deux Sonates d’église. Un binôme significatif, la naissance et le trépas : la première intitulée Jubilate illustre le temps de Noël et développe des variations autour du In dulce jubilo ; la seconde cite le Libera me de la messe de Requiem et un vieux chant allégorique qu’on trouve dans le Knaben Wunderhorn (Il est une faucheuse qui s’appelle la Mort). Les autres pièces au programme (un Praeludium, dix des quarante fughetten), récemment publiées chez Schott en 2017, remontent aux années d’apprentissage auprès de Max Reger au tout début du siècle dernier, et se fondent sur des chorals tant catholiques que protestants. De Reger, voilà deux arrangements : un célèbre Choralvorspiel d’après Johann Sebastian Bach, et une transcription extraite de la Suite orchestrale d’après les tableaux du peintre suisse Arnold Böcklin. Moins connu, et on remercie dans le livret la mention de rares archives, Josef Renner laisse quelques intéressantes partitions pour violon et tuyaux créées en Bavière autour de 1930.

Dommage que la notice mentionne à peine l’orgue, celui de l’église néobaroque Sainte Walburge de Beilngries, contemporain des œuvres (1913) : 44 jeux sur trois claviers et pédalier, avec une traction qui s’avéra problématique depuis sa construction par le facteur Joseph Franz Bittner et nécessita plusieurs aménagements jusqu’à une restauration achevée par la firme Kuhn en 2012. Norbert Düchtel et son ancien élève Ludwig Schmitt se partagent ici cette console bien sonnante, dense, claire et chaleureuse, parfaitement adaptée à ce répertoire, tout comme la sûre prestation de Sreten Krstič. Konzertmeister de la Philharmonie munichoise depuis une quarantaine d’années, directeur artistique des Solistes de Zagreb, le violoniste originaire de Belgrade se distingue par sa lecture franche, consistante et subtilement articulée dont la sévérité mériterait seulement un lyrisme moins chaste. D’autant que les micros lui offrent une proéminence qui grossit le trait et durcit le ton de ces pages héritées du romantisme : les souhaiterait-on un peu plus moelleuses et radieuses ?

Son : 8 – Livret : 7,5 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

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