Poignant et si beau Pelléas et Mélisande – Claude Debussy 

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Perdu en forêt lors d’une partie de chasse, il l’a découverte près d’un plan d’eau, hagarde, terrorisée. Elle a beaucoup souffert, lui dit-elle, et vient de jeter une couronne dans l’eau. Non, il ne doit surtout pas tenter de la récupérer. Elle s’appelle Mélisande. Lui, Golaud, la prend sous sa protection. Il l’épousera et finira par rentrer chez lui, là-bas, au château familial d’Allemonde où l’attendent sa mère Geneviève et son grand-père Arkel. Et surtout Pelléas, son demi-frère. La tragédie aura lieu. 

Le livret de Maurice Maeterlinck, adapté de sa pièce de théâtre, conduit inexorablement les tristes héros à leur tragique destinée. Il est une merveille d’évocations, de signes annonciateurs, de phrases reprises, de suggestions, de métaphores, de silences significatifs. Il y a ce qu’on saisit immédiatement, il y a ce qu’on se rappelle. Symboliste tout simplement. « Nous ne voyons que l’envers des destinées ».

Claude Debussy a fait sien ce récit, il l’a inscrit dans une musique tout aussi évocatrice, qui s’ouvre à tant de sens quant aux êtres et à ce qu’ils vont (devoir) vivre. Une musique surtout à l’extraordinaire prosodie. Elle a fusionné avec les mots qu’elle accompagne, qu’elle magnifie, qu’elle multiplie. C’est sans doute l’une des plus belles rencontres entre un texte et une partition.

Une tragédie, c’est toujours un huis-clos. Ses protagonistes ne peuvent tout simplement pas quitter les lieux. Pelléas répète si souvent qu’il va partir, qu’il veut partir, qu’il doit partir. Il restera. Et l’une des réussites de cette production est d’avoir concrétisé ce huis-clos. Dans ses couleurs grisâtres, sa forme circulaire, le château a les apparences d’un lieu sinistrement hermétique (et l’on se rappellera alors, tout aussi significatif, le puits-entonnoir imaginé à La Monnaie par Wernicke), d’autant qu’il donne sur de l’eau, stagnante. On est dans un entre-deux solide-liquide. La vie a déjà déserté ces lieux. Un filet de pêche monte et descend… La « petite Mélisande » n’y pourra rien. « Je suis si malheureuse », répète-t-elle. Et pourtant, quelle lumière n’apporte-t-elle pas dans cet univers-là, une lumière (de Bertrand Couderc) focalisée sur elle, multipliée par l’éclat de ses cheveux roux. Quelles apparitions.

Eric Ruf signe cette scénographie, elle aussi en fusion avec l’œuvre. Il en est également le metteur en scène, organisant cette cérémonie mortelle avec les rythmes, les mises en place, les déplacements les plus pertinents. Gravité de ce qui s’annonce et légèreté de quelques séquences si fugitives de bonheur. Il y a encore cette idée si bienvenue des trois femmes qui, régulièrement, traversent le plateau, Parques patientes, si convaincantes dans la chorégraphie douce de leurs déplacements.

C’est une fête orchestrale : nombreux dans la partition sont les « intermèdes », un terme mal choisi en fait pour qualifier des interventions aussi significatives, dans la mesure où, récapitulant, elles suscitent en nous des échos, et anticipant, elles laissent entendre ce qui va advenir. Avec son ensemble Les Siècles, François-Xavier Roth cisèle la partition, qu’il articule alors comme les mots des protagonistes. 

Quant aux solistes, ils réussissent à la fois à être la réalité visible de leurs personnages et à donner à entendre ce qui se joue en eux et qu’ils ignorent même souvent. Patricia Petitbon est bien sur le plateau, présence rousse lumineuse et douloureuse, si expressive dans la mise en scène d’Eric Ruf. Mais, souffrante, elle ne chante pas, « doublée » au bord du plateau par Vannina Santoni, titulaire du rôle d’ailleurs lors des représentations à l’Opéra de Lille. Qui convainc dans son chant, pourtant privé des stimulations d’un jeu corporel. Stanislas de Barbeyrac confère pas mal d’énergie à Pelléas, ce qui intensifie son absence de possibilité d’influer sur ce qui lui est « destiné ». Simon Keenlyside incarne, en toute justesse, lui aussi, un Golaud déchiré entre ses sentiments contradictoires. Jean Teitgen-Arkel et Lucile Richardot-Geneviève nous émeuvent dans leurs interventions, et Chloé Briot a la spontanéité naïve et surprise du « petit Yniold ». Thibault de Damas-le médecin complète heureusement la distribution.

Quelle belle tragédie… quelle bonne idée pour le Théâtre des Champs-Elysées d’avoir repris cette production unanimement saluée lors de sa création en mai 2017.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 13 octobre 2021

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques :  Vincent Pontet

 

 

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