Ouvertures d’Auber, un volume 3 peu enthousiasmant

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Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871) : Ouvertures et extraits orchestraux : Grande Ouverture pour l’inauguration de l’Exposition à Londres ; La Barcarolle, ou L’Amour et la Musique : Ouverture, Entracte de l’Acte II, Air de danse de l’Acte III ; Les Chaperons blancs : Ouverture, Entractes des Actes II et III ; Lestocq, ou L’Intrigue et l’Amour : Ouverture et Entracte de l’Acte II ; La Muette de Portici : Ouverture ; Rêve d’amour : Ouverture et Entracte de l’Acte III ; Le Serment, ou Les Faux monnayeurs : Ouverture. Orchestre Philharmonique de Moravie, direction Dario Salvi. 2019. Notice en anglais et en français. 73.11. Naxos 8.574007.

Avec ce troisième album, le label Naxos poursuit le projet d’une mise en valeur des ouvertures et de moments symphoniques tirés de l’abondante production lyrique d’Auber, compositeur très populaire au XIXe siècle, dont la plupart des œuvres pour la scène sont tombées dans l’oubli. Nous avons évoqué ici, en décembre 2019 puis en août 2020, les deux premiers volets de cette intéressante initiative, qui nous faisaient voyager de manière chronologique dans un vaste répertoire de près de cinquante titres. Même principe ici, avec quelques pages enregistrées en première mondiale.

Rappelons qu’Auber est l’auteur de trente-et-un opéras-comiques, de sept opéras, de trois drames lyriques et de sept musiques de scène. Une quinzaine de partitions ont déjà été illustrées précédemment, auxquelles un charmant Concerto pour violon et orchestre avait été joint dans le volume 2. Le premier volet de l’entreprise s’attardait aux partitions entre 1813 et 1826, le deuxième aux années 1805 à 1834. Dans le cas présent, le panorama va de 1832 à 1869. Il bénéficie, comme ses prédécesseurs, d’une copieuse notice en français (trop rare chez Naxos) qui permet d’approfondir ce programme peu familier. Une ouverture attire tout de suite l’attention, celle de La Muette de Portici (1828), opéra dont, on le sait, la représentation du 25 août 1830 à Bruxelles et l’air du deuxième Acte, Amour sacré de la patrie, furent à l’origine du soulèvement contre l’occupant hollandais qui devait mener à l’indépendance belge. C’est toujours Dario Salvi qui dirige, mais l’Orchestre de Chambre de la Philharmonie de Pardubice est remplacé par l’Orchestre Philharmonique de Moravie -établi à Olomouc en République tchèque. Cette phalange qui existe depuis sept décennies a connu à sa tête des chefs de réputation comme Otto Klemperer, Vaclav Neumann ou Libor Pesek et elle a accueilli des solistes comme Josef Suk, Gidon Kremer, Sviatoslav Richter, David Oïstrakh ou Pierre Fournier. Le changement n’est pas vraiment bénéfique. La formation de Bohême orientale en charge des deux premiers CD se révélait assez routinière et d’un dynamisme relatif. Les musiciens moraves ne font pas montre de beaucoup plus d’élan, et la légèreté n’est pas toujours de mise. On ne peut s’empêcher de se souvenir de l’extraordinaire version de l’ouverture de La Muette de Portici par Paul Paray à la tête du Symphonique de Detroit en 1959 : le chef français transcendait cette page héroïque par une direction fougueuse et un irrésistible souffle grandiose. Une indiscutable référence ! On en est loin avec Dario Salvi. Sa conception est peu inspirée, balourde, carrément boursouflée, et le minutage est éloquent : 9.42 pour Salvi, 7.35 pour Paray…

On oubliera donc cette Muette pour s’intéresser aux autres pages, à commencer par les premières mondiales. De Lestocq, ou L’Intrigue et l’Amour (1834), dont un entracte de l’Acte III était déjà proposé sur le deuxième CD de la collection, nous découvrons l’ouverture, au développement dramatique et convaincant, qui met en scène les personnages d’Elisabeth de Russie et d’un médecin qui va œuvrer pour que la souveraine puisse remonter sur le trône, et l’entracte très bref, inédit jusqu’à présent, de l’Acte II. Auber a du métier, il sait trousser les notes pour créer un paysage musical divertissant à consommation immédiate. Les Chaperons blancs de 1836 se déroulent à Gand au XVIe siècle, avec une intrigue qui met en scène un parfumeur et sa protégée qui sauveront le Comte de Brabant de la révolte des corporations qui donnent leur nom au titre. La notice nous apprend que l’accueil du public fut médiocre et que l’œuvre disparut après douze représentations. A part le bref entracte enjoué de l’Acte III, dont Auber réutilisera un thème dans son ballet Marco Spada, les extraits (ouverture et entracte de l’Acte II) ne brillent pas par leur originalité. On peut comprendre les réserves de l’époque. En 1845, Auber écrit La Barcarolle, ou L’amour et la Musique, sur un livret de Scribe, qui avait déjà signé le texte de La Muette de Portici. L’action se situe à Parme dans le milieu artistique du XVIIIe siècle, autour d’un poème qui sera l’enjeu d’une mise en musique. L’ensemble est séduisant (ouverture et deux entractes) dans un esprit dansant, les cordes et les fanfares en alternance créant un climat réjouissant. L’œuvre a connu un relatif succès en France, mais l’Angleterre lui fit bon accueil. On fait un bond de près de vingt-cinq ans pour entendre le Rêve d’amour (1869), qui eut la malchance de voir sa carrière interrompue par le début de la guerre franco-prussienne de 1870. L’atmosphère est pastorale, avec des accents militaires, le héros endossant le métier des armes. L’entracte de l’Acte III, inédit, s’inscrit dans un contexte idyllique, avec la présence de vents malicieux. Mais tout cela est inégal et ne demeure pas dans l’oreille.

Il reste deux ouvertures à l’affiche. Le Serment, ou Les Faux monnayeurs (1832) enchevêtre une histoire d’amour à une intrigue autour d’une bande de brigands. Avec La Muette de Portici, cette pièce, au contenu à la fois pastoral et militaire lui aussi, apparaît comme la plus inspirée de la série. Elle est émaillée par de très habiles apports de percussion, caisse claire et grosse caisse, et contient des moments solennels très réussis. La notice nous dit que l’ouvrage connut une centaine de représentations en près de vingt ans. La solennité marque encore la Grande Ouverture pour l’Inauguration de l’Exposition à Londres écrite en 1862. Verdi (Hymne des Nations) et Meyerbeer (Fest-Ouverture im Marschstyl) participèrent aussi à l’aventure internationale. Cette œuvre placée en tête de programme du CD correspond bien à sa destination d’œuvre de circonstance, l’originalité en est relative et l’inventivité empreinte de pompe se résume à quelques passages aux accents convenus. 

Même s’il éclaire notre connaissance du créateur prolifique que fut Auber, ce troisième volume n’est à retenir que pour son côté documentaire. On apprécie quand même la facilité d’écriture du compositeur et sa capacité à créer des atmosphères. Mais pour savourer un tant soit peu les finesses que l’on décèle parfois derrière les notes, il aurait fallu une baguette plus inspirée que celle de Dario Salvi. A la tête de l’orchestre morave dont on attend vainement flamme et ferveur, il établit un cadre qui n’enthousiasme guère, à l’instar de l’ouverture de La Muette de Portici, à oublier sans délai. Salvi alourdit le discours global et ne rend pas justice au créateur qu’il veut honorer. L’enregistrement a été réalisé du 19 au 22 novembre dans la Salle Reduta d’Olomouc, dont l’acoustique se révèle peu flatteuse. Un disque inutile ? Non, pour un approfondissement d’Auber ; oui, pour l’approche stylistique.

Son : 6 Livret : 10 Répertoire : 7 Interprétation : 4

Jean Lacroix 

 

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