Paavo Järvi et les symphonies de Mendelssohn : clarté, chaleur et énergie 

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Felix Mendelssohn (1809-1847) : Symphonies, intégrale ; Le Songe d’une nuit d’été, op. 61 : extraits. Tonhalle-Orchester Zürich, direction Paavo Järvi. 2021 et 2023. Notice en allemand, en anglais et en français. Textes de « Lobgesang » et du « Songe » avec traductions anglaise et française. 231’. Un coffret de 4 CD Alpha 1004. 

En tête de la notice du présent coffret, une constatation de Paavo Järvi attire l’attention. Le chef estonien, qui dirige depuis cinq ans la phalange zurichoise fondée en 1868, a fait le constat que si l’Écossaise et l’Italienne ont été jouées régulièrement en concert dans la cité la plus peuplée de la Suisse, la Symphonie n° 1 n’y a été donnée que deux fois, en 1951 et 1991, et la Symphonie n° 2 « Lobgesang », une seule, en 1990 ! Järvi a voulu corriger cette anomalie en gravant une intégrale, projet que même la pandémie n’a pu mettre à mal, puisque les présents enregistrements ont été effectués en mars, puis mai 2001 (pour le Songe d’une nuit d’été), la Lobgesang venant compléter l’ensemble en janvier 2023. On salue l’initiative de confier Mendelssohn à cet orchestre talentueux qui, par le passé, a été formé par des baguettes prestigieuses, comme celles de Volkmar Andreae, Hans Rosbaud, Rudolf Kempe, Charles Dutoit, Christoph Eschenbach ou David Zinman, avant Paavo Järvi, qui a succédé à Lionel Bringuier. Après des gravures récentes de Tchaïkowsky, Bruckner, Messiaen ou John Adams, dont la qualité ne souffre pas de contestation, les Zurichois et leur meneur de jeu offrent au compositeur originaire de Hambourg un visage symphonique particulièrement attrayant.

Après s’être fait la main, entre 1821 et 1823, avec douze symphonies pour cordes, le jeune Felix s’attaque dès 1824 au grand orchestre. Sa Symphonie n° 1, cadeau pour le 19e anniversaire de Fanny, sa sœur adorée, fait penser aux classiques viennois, à la manière d’un pastiche de Mozart, Haydn ou du plus contemporain Weber. Sa fraîcheur de style avec, en plus des cordes, les bois par deux, deux cors, deux trompettes et deux timbales, sa vivacité, son final dynamique, sont rendus par les Zurichois avec beaucoup de finesse. L’idée de coupler cette Première avec la Réformation, qui porte le n° 5 mais est en réalité la seconde composée, est des plus logiques. Elle date de 1830 et est destinée à la célébration des 300 ans de la Confession d’Augsbourg, texte majeur du luthéranisme. On y entend des citations spirituelles, mises en évidence par le compositeur juif converti. Dans cette partition qui sera publiée de façon posthume, ce qui explique son numéro tardif d’opus, le contraste avec la Première est frappant : à la fois austère et solennelle, son orchestration est plus cuivrée. On se souvient de la version très engagée de Charles Munch avec le Symphonique de Boston au milieu des années 1950 (un disque somptueux, avec une Italienne débordante de vie), ou des gravures, fervente de Sawallisch avec le New Philharmonia, ample de Kurt Masur, deux fois à Leipzig, richement timbrée de Christoph von Dohnanyi avec la Philharmonie de Vienne, éloquente de Claudio Abbado à Londres, ou, plus récemment, de Yannick Nézet-Séguin avec l’Orchestre de chambre d’Europe, moins incisif. Paavo Järvi choisit de dresser une sorte d’arc dramatique, dans un contexte d’urgence et d’énergie un peu froide, qui n’enlève rien à la dynamique de l’œuvre. 

La vision par Järvi du corpus mendelssohnien est cohérente tout au long des gravures fixées dans la même période, en mars 2021. Une unité d’immédiateté, de chaleur d’accents, mais aussi de transparence et de légèreté bienvenue dans la pâte sonore, traverse les deux pages les plus attendues, au sein desquelles l’évocation des voyages accompagne la poésie, mélancolique puis triomphale pour l’Écossaise, solaire et bondissante pour l’Italienne. Mendelssohn avait découvert dès ses vingt ans le mystère du pays des brumes, mais aussi la splendeur subtile de ses espaces. Il mit une bonne dizaine d’années pour l’achever, en 1842. L’Italienne avait été terminée bien plus tôt, en 1833, le musicien ayant séjourné à Rome trois ans auparavant. Timbales bien présentes, les pupitres de Zurich investissent les deux symphonies avec un plaisir qui se dévoile à travers une sonorité riche, une clarté rythmique et une capacité qui évite les effets grandiloquents de la Troisième, mais n’oublie pas ses couleurs automnales (superbe Adagio) pour se terminer de façon enthousiasmante, et, dans la Quatrième, à travers une précision dans la jubilation, et une exaltation chaleureuse. Une double réussite qui n’a rien à envier aux références citées plus avant, auxquelles on ajoutera, pour la Troisième, la gravure si enchanteresse de Peter Maag à la tête du Symphonique de Londres (Decca, 1960). 

La « Lobgesang » est la belle surprise de cette intégrale. Gravée en 2023, deux ans après les quatre autres, cette Symphonie n° 2, à la fois instrumentale (les trois premiers mouvements) et vocale (avec solistes du chant et chœurs, après plus de vingt-cinq minutes pour le seul orchestre), a été composée entre 1838 et 1840. Autre œuvre de circonstance, cette fois pour les 400 ans de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, elle est bâtie sur des extraits de l’Écriture sainte ; souvent trop négligée, cette symphonie-cantate trouve sous la baguette de Järvi une excellence due à des solistes investis (les sopranos Chen Reiss et Marie Henriette Reinhold ; le ténor Patrick Grahl), aux chœurs tout aussi fervents de la Zürcher Sing-Akademie, et à un orchestre aux élans virtuoses. Pour le passé, il faut citer la réussite incontestable de Chailly à Londres, avec Margaret Price, Sally Burgess et Siegfried Jerusalem, éblouissant trio vocal (Philips, 1979), celle de Gardiner à Londres (LSO Live, 2017, avec notamment Michael Spyres), ou celle de Karajan à Berlin (DG, 1963, sans doute l’un de ses plus beaux disques) avec Edith Mathis, Liselotte Rebmann et Werner Hollweg. Nézet-Séguin, moins convaincant, avait quelque peu oublié que cette partition hybride est aussi, comme le précise si bien Brigitte François-Sappey dans sa biographie de Mendelssohn (Fayard, 2008), une victoire de l’intelligence et de la foi (invention de l’imprimerie) sur l’obscurantisme. Järvi s’en souvient, qui souligne, avec une grandeur allégée, toute la portée de cette page d'une haute élévation.

En bonus des symphonies, le coffret propose des extraits du Songe d’une nuit d’été, gravés peu après les quatre symphonies. Une autre réussite : Ouverture aérienne et raffinée, Intermezzo et Marche nuptiale équilibrés, moments vocaux stylés avec les voix des sopranos Katharina Konradi et Sophia Burgos, et les Damen der Zürcher Sing-Akademie. Un complément de qualité pour une intégrale de haute volée, à placer sur le même rayon que les grandes références du passé.

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix            

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