Adriana Mater de Saariaho
Kaija Saariaho (1952-2023) : Adriana Mater, opéra en deux actes et sept tableaux. Livret d’Amin Maalouf. Fleur Barron, Adriana ; Axelle Fanyo, Refka ; Nicholas Phan, Yonas ; Christopher Purves, Tsargo. San Francisco Symphony Chorus,San Francisco Symphony, direction Esa-Pekka Salonen. 2023. 1 parution digitale DGG.
DGG propose une parution numérique le premier enregistrement mondial d’Adriana Mater, le second opéra de la Finlandaise Kaija Saariaho. Commande de l’Opéra de Paris lors du mandat de notre compatriote Gérard Mortier et de l’Opéra national de Finlande, l’oeuvre propose la même dream team qui avait cassé la baraque avec l’Amour de Loin, le premier opéra de la Finnoise donné avec succès au Festival de Salzbourg 2000 avant d'être repris à travers le monde : un trio composé de la compositrice, du librettiste Amin Maalouf et du metteur en scène Peter Sellars.
L’histoire se déroule dans un pays à l’aube d’un conflit. La jeune Adriana refuse les avances de Tsargo, un homme violent et alcoolique. Quand la guerre éclate, Tsargo désormais militaire, viole Adriana. Dans la deuxième partie de la partition, dix-huit années se sont écoulées. Adriana avoue à son fils, Yonas, les circonstances de sa conception. Le jeune homme, ivre colère, décide de retrouver son père, dont il a appris le retour au village, et de le tuer. Yonas découvre alors que Tsargo est devenu aveugle et malgré sa haine ne trouve pas la force de le tuer. Plutôt que par la vengeance, l'opéra se conclut sur un pardon.
Créée sur la scène de l”opéra de Paris, dans un contexte de grèves qui avait fait voir rouge au chef Esa Pekka Salonen, ce dernier jurant de ne plus jamais diriger à l’Opéra de Paris, la partition n'avait pas convaincue par son hiératisme et par la langue assez ampoulée du livret. Malgré l’aura international de la compositrice, la partition ne s’est pas tant imposée au répertoire malgré quelques reprises comme l'été dernier au festival finnois de Savonlinna. En 2023, peu de temps après le décès de Kaija Saariaho, Esa Pekka Salonen dirigeait une série de concerts semi-scéniques à San Francisco dont DGG publie la bande son.
Assez statique, la partition passe bien l’épreuve de l’écoute, c’est un travail de climax et de timbres comme toujours très élaborés avec une plastique évocatrice et sculptée de la matière musicale. La partition tire ainsi vers l’oratorio et l’écriture du livret par sa science froide ajoute une couche intemporelle à la tragédie de l’histoire. La filiation avec la tragédie grecque ressort encore plus.
Du côté musical, c’est bien évidemment du très grand luxe avec la direction méticuleuse et idoine d’Esa Pekka Salonen qui travaille au biseau le drame telle une pierre précieuse dramaturgique. On sent le compositeur engagé et concentré sur la qualité de l’écriture. Du côté vocal, même si la plupart des chanteurs n’est francophone (à l'exception d'Axelle Fanyo), tous sont particulièrement engagés à commencer par la mezzo Fleur Barron, émouvante Adriana.
Par contre, il faut regretter le moins disant éditorial de DGG qui n’accompagne pas cette parution d’un livret digital. Il faut aller sur le site de DGG pour qu’un lien vous renvoie vers le site de la compositrice pour trouver le livret. Cette parution en forme d’hommage aurait mérité plus de soin…
Dans tous les cas, cette publication exclusivement digitale est un témoignage intéressant sur l”opéra de notre XXIe siècle. Mais est-ce que l'on reviendra à Adriana Mater ?
Son : 9 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Pierre-Jean Tribot