Pages symphoniques et concertantes du Lituanien Eduardas Balsys

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Eduardas Balsys (1919-1984) : Concerto pour violon et orchestre n° 1 ; Reflets de la mer, poème pour orchestre à cordes ; Fresques dramatiques, pour violon, piano et orchestre symphonique. Džeraldas Bidva, violon ; Indré Baikštyté, piano ; Orchestre symphonique national de Lituanie, direction Modestas Pitrénas. 2020. Notice en anglais. 66.15. Ondine ODE 1358-2.

Les pays baltes regorgent de compositeurs dont l’existence nous est peu à peu révélée. Eduardas Balsys, dont il n’existe à notre connaissance qu’un petit nombre d’enregistrements, fait partie de cette génération dont les années les plus créatives ont dû s’accommoder du régime soviétique. La famille de Balsys, installée en Ukraine où Eduardas est né, retourne en Lituanie lorsqu’il a deux ans. Le futur compositeur habite à Klaipéda, principal port de mer du pays, où il apprend le cor et le tuba, et fait partie d’un orchestre local. En 1940, il entre à l’Ecole Militaire de Kaunas dont il sort lieutenant. Pendant la guerre, il s’intéresse aux branches scientifiques et prend en même temps la décision de devenir compositeur. En 1950, il sort du Conservatoire d’Etat lituanien où il a suivi les cours d’Antanas Račiūnas (1905-1984), compositeur dans la tradition romantique. On le retrouve ensuite au Conservatoire de Leningrad les trois années suivantes, dans la classe de Viktor Voloshinov (1905-1963), avant un dernier perfectionnement en composition et en orchestration au Conservatoire de Vilnius, institution où il va dès lors enseigner. Il présidera l’Union des Compositeurs lituaniens pendant une dizaine d’années. Le répertoire de Balsys, qui décède en 1984 à moins de 65 ans, compte de la musique pour orchestre dont une symphonie, de la musique de scène, de la musique de chambre, instrumentale, vocale et pour le cinéma. Son œuvre la plus emblématique est sans doute l’oratorio Nelieskite melyno gaublio (« Ne touche pas le globe bleu ») pour solistes, deux chœurs d’enfants, deux pianos, contrebasse et percussion de 1969, couronné cinq ans plus tard par un Prix d’état.

Influencé par le classicisme et le romantisme, inspiré par des réminiscences du folklore national, Balsys va aussi tenter de temps à autre l’aventure dodécaphonique et les techniques aléatoires, en particulier pendant la première période de sa production, au cours de la décennie 1950. A la fin de celle-ci, il adopte de plus en plus souvent des éléments de musique populaire et revient à la tonalité. C’est de la fin de cette époque que date le Concerto pour violon n° 1 qui semble avoir été travaillé dès ses années d’étude. Cette partition en trois mouvements révèle la capacité instrumentale de Balsys, encore sous l’influence romantique quant au choix des couleurs orchestrales, de l’avancée mélodique et des insertions populaires. 

La notice reprend des extraits de la monographie écrite en 1999 par la musicologue Ona Narbutiené (1930-2007), spécialiste de la musique lituanienne, qui souligne le schéma classique des trois mouvements : un Allegro moderato ed agitato dramatique, un Andante cantabile e sostenuto lyrique et un Allegro vivo facétieux. Brillant, souvent en tension, le violon trace son parcours dans la ligne de Tchaïkowski, mais encore plus dans celle de Khatchaturian, avec des effets virtuoses et des dialogues instrumentaux bienvenus. 

Après le concerto, le poème symphonique Reflets de la mer de 1981 est exécuté par trois groupes de cordes qui jouent simultanément, dans un climat contrasté, de grande expressivité, aux multiples développements polyphoniques. L’œuvre d’une durée d’une petite douzaine de minutes est divisée en deux parties qui se succèdent sans interruption. Le Prélude Andante crée une atmosphère passionnée, prolongée dans une Toccata vive et spontanée qui reprend le thème du Prélude dans sa section centrale, la partition s’achevant dans un geste plein de solennité. C’est une page étrange, parcourue de frémissements et de forces sous-jacentes, dont l’évocation lyrique sensible est mesurée.

Nouvelle partition concertante pour terminer le programme : les Fresques dramatiques pour violon, piano et orchestre symphonique de 1965. La notice précise que cette page est née d’une réflexion du compositeur sur les conflits humains et les perturbations créées par la menace d’une éventuelle nouvelle guerre. En un seul mouvement d’un peu plus de vingt-huit minutes, l’œuvre s’inscrit dans plusieurs genres, instrumental, concertant et symphonique, les deux instruments solistes étant traités comme prioritaires. Différents sentiments traversent l’œuvre : le malaise, le sarcasme, la colère et la contemplation mêlée de peine, l’angoisse étant traitée selon une technique dodécaphonique. La musique de Balsys ne se laisse pas appréhender à la première audition. Son approche n’est pas directement séduisante, il faut se laisser envahir par une sensation globale, par la force qui se dégage, par le dramatisme qui émerge peu à peu et laisse apercevoir, tout au bout, une lueur d’espoir qui peut remplacer les aspects sombres de la violence. 

Dans les deux pages concertantes, c’est le violoniste Džeraldas Bidva qui officie. Bidva est le violon principal de l’Orchestre de Chambre de Lituanie et, depuis une trentaine d’années, de la Kremerata Baltica ; il a vécu de nombreuses aventures musicales avec Gidon Kremer. Dans son pays natal, il a créé des masterclasses d’été qui attirent de jeunes artistes du monde entier. Totalement investi dans son interprétation, il insuffle à ces partitions rares une énergie et une dynamique impressionnantes. Dans les Fresques dramatiques, la partie de piano est jouée par Indré Baikštyté qui est la petite-fille d’Eduardas Balsys et passe la plupart de son activité musicale avec le FortVio Trio, avec lequel elle a remporté des prix internationaux. Elle partage avec le violoniste la même envie de faire apprécier la musique de son aïeul. La complicité de l’Orchestre Symphonique National de Lituanie, actif depuis sept décennies, leur est acquise ; il est confié à la baguette de Modestas Pitrénas qui en est le directeur musical et artistique depuis 2015. Tous accomplissent pour ce disque exigeant un travail exemplaire en termes de rigueur, de précision et d’engagement. Une gravure du Concerto pour violon n°2 de Balsys, que la notice signale comme étant le plus populaire en Lituanie, serait la bienvenue.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

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