Captivant récital autour de la Passion, par le quatuor vocal New York Polyphony

par

And the sun darkened. Loyset Compère (c1445-1518) : Crux Triumphans ; Officium de Cruce. Josquin Desprez (c1450-1521) : Te pauperum refugium. Andrew Smith (1970*) : Salme 55. Adrian Willaert (c1490-1562) : Pater Noster, Ave Maria. Cyrillus Kreek (1889-1962) : Taaveti laul 22. Pierre de La Rue (c1452-1518) : O salutaris hostia. New York Polyphony. Geoffrey Williams, contreténor. Steven Caldicott Wilson, ténor. Christopher Dylan Herbert, baryton. Craig Philips, basse. Livret en anglais, allemand, français ; paroles des chants en langue originale et traduction anglaise. Juin 2018. TT 58’26. SACD BIS-2277

Pour son sixième album chez le label BIS, l’ensemble New York Polyphony se consacre au temps liturgique de la Passion du Christ. À défaut d’originalité de la thématique, le programme mêle adroitement motets de l’époque Renaissance et deux emprunts aux répertoires moderne et contemporain. Nonobstant une iconographie bien terne en couverture, le résultat éblouit, subjugue.

Écoutez la bande-annonce du film Stone (2010), musique signée de Jon Brion : le déceptif et mélancolique motif de trois notes inspire la vaporeuse première section (Exaudi, Deus, orationem meam, et ne despexeris deprecationem meam) de Salme 55 d’Andrew Smith, complainte sur le désespoir, la trahison, conclue par la confiance en Dieu. Un obnubilant cérémonial, figé dans sa supplique, parcouru de litanies sépulcrales. C’est un autre psaume, celui qui commence par les paroles de déréliction « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné », qu’arrangea le compositeur, pédagogue et ethnomusicologue estonien Cyrillus Kreek. Il se pencha aussi sur d’autres Psaumes de David, dans un style fécondé par ses travaux de folkloristes et la tradition postromantique austro-allemande. 

Loyset Compère occupe la majeure partie du disque, au travers de la symbolique de la Croix. Son génie mélodique et son art miniaturiste transparaissent dans le Crux Triumphans où l’ensemble américain se distingue d’emblée par sa plénitude, sa chaleur, sa précision, son allant, pour ne pas dire son mordant. À comparer avec le témoignage plus âcre de Pro Cantione Antiqua (Archiv, 1977), ou les rigoureux enlumineurs autour de Dominique Vellard (La chapelle des chantres des ducs de Lorraine, K617, 1995). Précédé d’un Introït et d’un antiphone, le cycle Officium de Cruce dérive des séquences des Heures de la Croix, depuis l’Arrestation jusque la Mise au Tombeau. Là encore, les quatre voix de New York Polyphony brillent par leur généreuse éloquence et leur science du détail, la fermeté de la conduite et la tenségrité des lignes. Admirons ces magiques exhalaisons (Hora prima ductus est Jesus) dans la scène devant Ponce Pilate.

Les longues phrases asymptotiques du Te pauperum refugium de Josquin (extrait du Magnus es tu Domine dont on ne nous offre ici que la seconde partie) attestent chez leurs interprètes la ductilité d’un souffle qui semble infini, et une transparence du timbre vraiment exceptionnelle, déployant des horizons en cristal et or. Ce pavage tous azimuts laisse place à un atelier de mosaïste pour le Pater Noster d’Adrian Willaert : de la basse d’airain de Craig Philips jusqu’aux glacis de Geoffrey Williams, l’harmonie, l’homogénéité du quatuor sont impeccables, littéralement ravissantes. L’acoustique de la Princeton Abbey (USA, New Jersey), magnifiquement captée, contribue à la présence quasiment physique que sculpte la restitution SACD. Après l’exploration de cet univers de souffrance et de calvaire, le récital s’achève sur le réconfort eucharistique : le radieux O salutaris hostia de La Rue vient encore confirmer la suprématie technique et expressive de cette équipe qui, depuis quinze ans, ne cesse de côtoyer la perfection et l’atteint ici.

Son : 10 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

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