Quatre grands compositeurs bipolaires : Beethoven, Berlioz, Schumann, Williamson

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François BUHLER : Quatre grands compositeurs bipolaires Beethoven, Berlioz, Schumann, Williamson. Art et santé mentale, tome 2. Saint-Denis, Publibook, 2019. Un grand in-8°, broché, de 243 p., 24,50 €

Si les biographies -sérieuses ou romancées- des compositeurs sont légion, elles n’abordent les troubles comportementaux que de façon marginale ou anecdotique, les auteurs n’étant pas particulièrement versés en la matière. De longue date, le corps médical s’est penché sur les pathologies dont ont souffert nombre de musiciens célèbres. De nombreuses publications l’attestent. De leur côté, les biographes et musicologues ont repris les diagnostics avancés, parfois contradictoires, pour éclairer les œuvres. En 2016, François Buhler nous avait offert l’étude la plus approfondie de l’Aleko de Rachmaninov (éd. Connaissances et Savoirs), sans que l’on puisse se douter que ses compétences s’étendent également au domaine clinique. C’est donc sur cette approche double, musicale et comportementale, que l’étude fonde son originalité et son intérêt.

L’ouvrage s’adresse à un large public : thérapeutes comme musiciens et musicologues y trouveront matière à enrichir leurs connaissances. Toute la première partie permet à chacun de s’approprier la notion de bipolarité, avec ses infinies déclinaisons. Suivent quelques pages où sont listés des artistes essentiels, atteints de cette affection, qu’ils relèvent de l’expression musicale, visuelle ou littéraire. Des vingt-six compositeurs listés (de Arenski à Berndt-Aloys Zimmermann), relevant de cette pathologie, plus d’un tiers ont commis une tentative de suicide, et une même proportion a été internée… Succèdent les chapitres consacrés à trois géants -Beethoven, Berlioz et Schumann-  auxquels l’auteur joint un musicien surprenant, inconnu du plus grand nombre, Malcolm Williamson, qui justifie quelques pages. Aussi le titre (« Quatre grands compositeurs bipolaires ») surprend-il par cette singulière association. Ce sera la seule réserve.

Le musicien dépourvu de connaissances psychologiques et psychiatriques aura beaucoup appris à la lecture de ce passionnant essai. D’abord sur les troubles bipolaires, dont le diagnostic et les formes sont décrits avec soin. Ainsi, le lecteur se familiarise-t-il aux notions de mélancolie, de manie, de cyclothymie, ainsi qu’à leurs causes génétiques et environnementales

Les portraits des trois authentiques géants, de leurs proches, étayés, documentés, justes, sont riches en informations, malgré leur caractère synthétique. Le « dictionnaire » de l’entourage est bienvenu, éclairant le personnage, et renvoyant aux témoignages les plus justes. Beethoven ouvre la série, approché avec une rare clairvoyance, étayée par de nombreuses citations pertinentes. Certainement une des contributions les plus aboutie à la connaissance du caractère du compositeur. La soixantaine de pages consacrées à Berlioz, centrées sur sa personnalité singulière, si elles ne se substituent pas aux mémoires, à la correspondance, aux critiques et témoignages, en constituent le concentré le plus juste. Schumann aura certainement été l’un des compositeurs ayant suscité le plus de curiosité et d’investigations de nombre de praticiens. Les mensonges, omissions, destructions de correspondances, commis par Clara et des siens -dont l’unique objet était de construire l’image la plus respectable de Robert- participent au maquis touffu où s’engage le chercheur. Comme il l’avait fait pour Berlioz, l’auteur rédige les notices biographiques de la famille. La relation à Clara est analysée avec soin, comme celle entretenue avec Brahms. L’influence de Jean-Paul, celle de Hoffmann aussi, éclairent l’homme et l’œuvre. Sa pathologie est décrite le plus longuement. On en retiendra particulièrement l’étude du double en littérature, qui ouvre l’introduction au Carnaval, aux Davidsbündlertänze et aux Kreisleriana, citations musicales à l’appui. Quelques mots à propos du personnage hors du commun que fut Malcolm Williamson, condamné à l’oubli en Grande-Bretagne par son inconduite, ses excentricités et son intempérance. Préféré à Tippett et Malcolm, maître de musique de la Reine Elizabeth II en 1975, bien qu’australien, il en perdra le privilège à la suite de ses excès. Ayant illustré tous les genres, son œuvre, prolixe entre les années 50 et 90, mérite d’être visitée.

Voilà un ouvrage original, bienvenu, sans réel précédent, malgré la célébrité des trois compositeurs dont l’approche constitue l’essentiel. Leurs portraits, particulièrement documentés, éclairés par la psychologie et la psychiatrie, s’avèrent des plus justes. D’abondantes notes de bas de page, des bibliographies riches permettent au curieux d’approfondir le propos.

Yvan BEUVARD

 

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