Première version du Requiem et pages chorales de Fauré : une invitation à l’intimité
Gabriel Fauré (1845-1924) : Requiem, version de 1888 ; Messe des pêcheurs de Villerville, version de 1881 ; Cantique de Jean Racine, op. 11 ; Madrigal op. 35 ; Maria Mater Gratiae op. 47/2 ; Ave verum corpus op. 65/1 ; Tantum ergo sacramentum op. 65/2 ; En prière. Caroline Weynants, soprano ; Chœur de chambre de Namur ; Millenium Orchestra, direction : Thibaut Lenaerts. 2024. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes chantés reproduits, avec traductions. 56’ 31’’. Ricercar RIC 469.
Voici un album où règnent la simplicité et la sensibilité fauréennes, servies par une interprétation harmonieuse et pleine de tendresse. Thibaut Lenaerts est à la tête du Chœur de chambre de Namur, tout en finesse et en souplesse. Le morceau de choix est la première version du Requiem, donné le 16 janvier 1888 à l’occasion des funérailles d’un architecte, en l’église de la Madeleine, dont Fauré, qui y passera une partie de son existence, est alors maître de chapelle. Comme l’explique Jérôme Lejeune dans sa notice détaillée, le compositeur bénéficie, de par sa fonction, non seulement de l’orgue de chœur, de chanteurs et d’une maîtrise en formation, mais aussi, pour des offices plus importants, d’un ensemble de cordes, de harpes et éventuellement de timbales et de quelques cuivres.
Cette première version, en cinq parties, ne contient ni l’Offertoire ni le Libera me, et est destinée à un chœur et à un ensemble à cordes, avec orgue, harpe et timbales. La finesse et la limpidité sont ici de mise pour mettre en évidence un accompagnement réduit, transparent et fluide. Même si la partition à venir, avec ses ajouts, demeurera pour beaucoup la plus satisfaisante, il est difficile de résister à l’ambiance pudique, que l’on qualifiera de liturgique, qui domine ici, avec un Pie Jesu très pur, chanté par la soprano Caroline Weynants.
Ce Requiem est placé en fin de programme, un peu comme un accomplissement de ce qui précède. Le choix de porter en tête d’affiche le Cantique de Jean Racine, paraphrase d’un hymne du IVe siècle attribué à un Père de l’Église, Ambroise de Milan, est judicieux. Dans cette page de jeunesse de cinq minutes, qui date de 1865 et a valu à Fauré le premier prix de composition au bout de ses dix ans d’études parisiennes à l’École Niedermeyer, l’écriture des chœurs est claire ; la thématique séduit par sa simplicité, comme l’écrit Jean-Michel Nectoux (Seuil, 1972, auteur aussi de la volumineuse biographie qu’il a consacrée au compositeur pour Fayard en 2008). Si la foi de Fauré ne semble pas avoir été très profonde (on parlera plutôt d’indifférence), ce Cantique installe d’office une ambiance spirituelle propice à l’écoute de tout ce qui va suivre.
L’intérêt se focalise aussi sur la plus tardive Messe des pêcheurs de Villerville, appelée aussi Messe basse, composée en 1881, sept ans avant le Requiem, en collaboration avec l’ami André Messager, issu lui aussi de l’École Niedermeyer. Deux des cinq parties (le Kyrie et O Salutaris, où intervient un violon solo) sont de la main de ce dernier. Un sobre harmonium accompagne un chœur de femmes, de façon très décantée, dans un contexte d’une désarmante simplicité. Cette messe, créée dans la petite localité du Calvados, y sera rejouée l’année suivante, toujours avec harmonium, auquel quelques cordes et bois auront été joints.
Le programme est complété par de brèves pages dont on apprécie le dépouillement, à savoir les motets Maria Mater Gratiae de 1888, pour voix d’hommes et quatuor à cordes, Ave verum corpus et Tantum ergo sacramentum de 1894, tous deux pour chœur de femmes et orgue. En prière de 1890, d’après un texte non liturgique du poète Stéphan Bordèse (1847-1919) est confié à un chœur de femmes, avec harpe, et le Madrigal de 1883, cadeau de mariage pour André Messager, sur un texte du poète et conteur parisien Armand Silvestre (1837-1901), à un chœur, avec quatuor à cordes et orgue. Dans ces morceaux à la fois candides et nourris d’intériorité, les interprètes font la démonstration de leurs affinités avec l’univers intime de Fauré.
On sort de ce splendide enregistrement, effectué à Heverlee et à Namur en juillet 2024, avec la sensation d’avoir eu droit à une heure paisible et rassérénée. C’est si précieux en nos temps troublés.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix