Peter Donohoe entame une intégrale  des Chansons sans paroles de Mendelssohn

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Felix Mendelssohn (1809-1847) : Lieder ohne Worte, volume I. Rondo capriccioso op. 14. Trois Fantaisies ou Caprices op. 16. Lieder ohne Worte : Livre I op. 19b, n° 1 à 4 ; Livre II op. 30, n° 3 et 4 ; Livre III op. 38 n° 2 et 6 ; Livre IV op. 53, n° 2, 4 et 5 ; Livre V op. 62, n° 1, 3 à 5 ; Livre VI op. 67, n° 1 à 6 ; Livre VIII op. 102, n° 1, 2 et 6. Peter Donohoe, piano. 2021. Notice en anglais, en allemand et en français. 79.56. Chandos CHAN 20252.

Le pianiste anglais Peter Donohoe (°1953) s’est fait connaître dès 1982 en étant primé au Concours Tchaïkowsky de Moscou, en même temps que Vladimir Ovchinnikov. Depuis lors, il mène une carrière internationale et est à la tête d’une impressionnante discographie qui comprend Mozart, les romantiques, Prokofiev, Chostakovitch ou Messiaen mais aussi des compositeurs moins connus, comme Litolff, et une série de musiciens anglais (Harty, Finzi, Cyril Scott, etc.). Il ajoute Mendelssohn à son répertoire, en précisant que le Hambourgeois a très tôt compté pour lui, au point qu’il l’a pris comme référence lorsqu’âgé de dix ans, mû par une velléité créatrice, il a écrit une page pianistique dont le thème principal était une copie conforme d’un passage de l’ouverture Ruy Blas ! Le présent album, qui en annonce d’autres, est un hommage à cette attirance juvénile qui n’a cessé de se confirmer. 

Donohoe a fait une vaste sélection dans les Lieder ohne Worte. Certains d’entre eux, écrit-il, ont joué un rôle essentiel dans le répertoire de milliers de pianistes, depuis leur composition -par exemple le « Frühlingslied » (Chanson de printemps), op. 62 n° 6, et le « Spinnerlied » (La Fileuse), op. 67 n° 4 (parfois appelé dans ma jeunesse « The Bee’s Wedding » [Le Mariage de l’abeille]. En revanche, certains d’entre eux sont beaucoup moins connus, mais de mon point de vue, ils n’ont absolument rien à envier à leurs célèbres homologues en termes de beauté et d’inspiration, parfois de magie sublime, en d’autres occasions de fièvre virtuose. Le résultat du choix effectué par Donohoe est à la hauteur de ses ambitions : absolument remarquable.

Le programme ne s’arrête pas à un panorama puisé dans les huit Livres des Lieder ohne Worte. Il s’ouvre par le virtuose Rondo capriccioso op. 14 de 1827 dont Donohoe traduit tout le chant lyrique avec une aisance quasi improvisée. Le pianiste souligne le lien stylistique qui unit cette page au Scherzo/Presto des Trois Fantaisies ou Caprices de l’opus 16, qui datent de deux ans plus tard, lors d’un séjour londonien du compositeur à peine âgé de vingt ans. Il loge alors chez les Taylor et fait du charme aux trois jeunes filles de la maison, chacune d’entre elles recevant un morceau en dédicace, sous la forme d’une allusion à des bouquets de fleurs (œillets, roses, trompettes) puis à la fluidité d’un ruisseau. En quelque sorte, ces pièces séduisantes rappellent l’esprit du Songe d’une nuit d’été et annoncent par leur agilité charmeuse les futurs Lieder ohne Worte. Le pianiste avoue le plaisir qu’il éprouve à jouer ces œuvres : elles touchent au cœur même de la raison pour laquelle je suis devenu musicien à l’origine. Dans ce plaisir que Donohoe transmet, on ressent toute l’infinie délicatesse, accompagnée d’une volubilité sans effets, qu’il imprime à l’ensemble.

On est alors prêt, ô combien, à apprécier la lecture de ce qui suit, ces moments choisis des Lider ohne worte dont la composition s’étale de 1830 à 1845. Donohoe a opté pour une promenade au fil du temps et des opus, sans tenir compte de leur ordre de publication. Ce processus met en évidence l’unité d’esprit et d’inspiration qui domine la totalité de cette petite cinquantaine de pièces, dont on découvre ici la moitié. Les quatre premières de l’opus 19b, qui datent de la période de voyages en Europe de 1830 à 1832, se positionnent ici comme les prémices de tous ces feuillets d’album, avec leur fluidité, leurs contrastes, leur joie et leur légèreté. Elles sont suivies par deux extraits de l’opus 102, publié à titre posthume en 1868, l’un sous forme de ballade, l’autre un Adagio chaleureux. L’opus 67 est représenté ensuite par deux pièces : le mélancolique Moderato (n° 5), et le racé Allegro leggiero (n° 2). Trois compléments de ce Livre VI, dont la célèbre Fileuse (1843, n° 4) si enjouée, apparaissent plus tard, intercalés parmi d’autres, le pianiste offrant un bouquet diversifié dont l’intérêt ne faiblit jamais, avec un sens juste du tempo, un geste noblement léger et un lyrisme permanent qui donne à chacun des morceaux sa part d’originalité et de charme. 

Une très belle réussite globale, et une option qui nous séduit, car elle est le reflet d’une véritable réflexion sur le compositeur lui-même. On lira d’autres considérations de Donohoe, au sein desquelles il aborde certaines idées reçues sur Mendelssohn, parfois taxé à tort d’être miniaturiste, sur le rayonnement de sa musique, essentiellement marquée par la joie et la positivité, et sur la sinistre période du parti nazi qui a voulu faire disparaître son œuvre des tablettes de l’histoire. Mais encore son discours sur la technique pianistique, simple en apparence dans son style cantabile, ainsi que sur les aspects de communicabilité qui rendent ces Lieder ohne Worte si précieux. 

Cet album Chandos a été enregistré du 4 au 6 mai 2021 au Potton Hall de Dunwich dans le Suffolk, dans une prise de son généreusement chaleureuse. L’objet discographique est soigné, comme souvent chez Chandos, avec une notice intelligente, signée par le compositeur et critique musical londonien Bayan Northcott. L’intérêt de l’information complète le bonheur musical. On ne négligera pas de belles versions des dix dernières années comme celles de Michael Korstick (CPO, 2012), Javier Perianes (Harmonia Mundi), 2014) ou Philippe Cassard (Sony, 2017), mais le regard de Peter Donohoe possède en lui la quintessence de la pureté mendelssohnienne. Nous attendons son second volume avec une patiente impatience. 

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10 

Jean Lacroix

 

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