Dernière étape de l’intégrale pour clavecin de Louis Couperin par Bob van Asperen

par

Louis Couperin (c1626-1661) : Suites en sol mineur, en ré mineur, en ut majeur, en mi mineur, en si mineur, en ré majeur ; Pavane en fa dièse mineur ; Fantaisie en mi phrygien. Bob van Asperen, clavecin. Livret en anglais, allemand, français. Mai 2008. TT 76’56. Aeolus AE-10184

Ce quatrième volet de l’édition Louis Couperin initiée voilà quinze ans (la fréquence ralentit : le précédent remontait à 2013) est aussi le dernier consacré à l’œuvre pour clavecin. Parmi les quelque cent-quarante pièces du catalogue (les volumes 1 et 3 incluaient quelques récentes découvertes), le programme a agencé six Suites par tonalité. Auxquelles s’adjoint la Pavane en fa dièse mineur en appendice du Manuscrit Bauyn, que le livret apparente à un Tombeau pour le luthiste Ennemond Gautier. S’entretoisent aussi quelques pages associées à Jean-Henry d’Anglebert, Jacques Champion de Chambonnières (sa splendide Pavanne L’Entretien des Dieux), Nicolas Lebègue… L’anthologie se conclut par une Fantaisie de 1654 tirée du Manuscrit Oldham, annonçant une prochaine parution consacrée au corpus organistique du compositeur, réalisée à Bolbec et impatiemment attendue.

Les trois précédents volumes optaient pour autant de clavecins : un anonyme français de la collection Beurmann, le Vaudry de 1681, un anonyme de 1700 conservé à la Villa Médicis. Voici maintenant un prestigieux instrument flamand : le Ruckers du Rijksmuseum d’Amsterdam (8’-8’-4’) dont le « petit ravalement » laissa intactes la caisse et la table d’harmonie. L’interprète néerlandais se délecte d’une telle palette de couleurs, gorgée de lumière sur tout le spectre, d’une subtilité inouïe. Après les contrastes de Blandine Verlet sur son effronté Ruckers de Colmar (qu’avait aussi choisi Asperen pour son florilège chez Emi en janvier 1991), après le calcul et la gravité de Davitt Moroney (Harmonia Mundi), après quelques remarquables anthologies : l’humanisme de Gustav Leonhardt, la coulante sensibilité de Laurent Stewart (Pierre Vérany), l’intelligence unificatrice de Christophe Rousset (Aparté)… Bob van Asperen boucle une intégrale marquante à sa façon. 

La vaste notice en dit long sur l’érudition du claveciniste, sa connaissance des sources, des influences croisées, du langage, mais en dit peu sur sa compréhension de l’esprit de ce corpus. Son enregistrement parle pour lui. Certes la versatilité de ces pages le conduit parfois à musarder, à s’égarer entre les lignes. Peut-être subjugué par le génie de l’œuvre, mais sans ostentation ni feinte. Surtout : quelle ornementation, quel raffinement du toucher, quelle plénitude, quelle ampleur et en même temps quel délié ! Un style un peu hédonique certes, et l’audiophile captation le magnifie. La creuse virtuosité qu’on reprocha (ou jalousa) jadis à Asperen, sans renier sa prodigieuse agilité, a su se muer en parole d’esthète. Cette maturité, cette hauteur permettent la variété de ton et de regard, transformant chaque pièce en tableau saisi dans l’instant sans lui ôter la vie. Autant de scènes de genre où les fins pinceaux d’Asperen manient en maître le pigment et le vernis. À chaque danse, chaque recueillement, chaque geste, le Ruckers insuffle ici la transparence d’intention et la communicative fraîcheur d’un Vermeer. 

Son : 9,5 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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