Pierre Boulez, la biographie officielle ?
Christian Merlin, Pierre Boulez, Paris Fayard, ISBN 978-213-70492-0-2019, 35 euros
La prestigieuse collection de Fayard dévolue aux biographies de compositeurs s’enrichit d’un titre inattendu : un Pierre Boulez sous la plume du Christian Merlin. Inattendu, à moins de 4 ans du décès du musicien, alors que rien n’obligeait la parution d’une telle biographie qui, au regard du marché du livre, risque d’être définitive car elle tue dans l’oeuf tout autre projet. Inattendu car l’auteur Christian Merlin, dont les quelques livres publiés sur l’orchestre jouissent d’une étonnante aura en France, n’avait jamais encore révélé une passion pour la musique contemporaine. On interprétera cela comme une volonté positive de dépassionner le débat ! Mais est-ce suffisant pour imposer le livre comme une référence ?
L’ouvrage est impressionnant (570 pages) et il tente de dresser un portrait de la personnalité totale et complexe que fut Boulez, sans oublier de chercher (en vain) du côté de sa vie privée. Si la somme d’informations est colossale, on regrette que le sujet soit, comme souvent avec les ouvrages de Christian Merlin, noyé sous une masse de détails et d’anecdotes qui nuisent à la perception du propos. Plus gênant, la partie “musicale” est abordée sous un angle des plus réduits. L’auteur n’étant pas musicologue, il renvoie le sujet vers d’autres ouvrages. L’analyse précise, la mise en perspective et même un regard actuel sur cette oeuvre qui reste controversée restent à écrire ! On se contentera donc de partir sur les traces de l’activiste, du chef d’orchestre, du théoricien, de l’homme d’institutions….Le lecteur pourra considérer que c’est déjà beaucoup !
On regrette également un point de vue trop franco-français et très parisianiste, tel un axe linéaire tracé entre la Place Stravinsky et la Philharmonie de Paris. La Belgique qui ne fut pas pour rien dans la réception et l’affirmation de Boulez est très timidement évoquée ! Depuis la création de sa Sonatine pour flûte et piano, en 1946, par Jan van Boterdael et Marcelle Mercenier, le compositeur y fut comme chez lui, trouvant en son jeune compère Henri Pousseur un camarade de combat et un propagandiste motivé. L’auteur considère le mandat de Boulez auprès du BBC Symphony comme fondamental du développement de sa programmation novatrice alors que des combinaisons de concerts audacieuses avaient été précocement expérimentées en Belgique, en particulier dans le cadre des concerts intitulés Reconnaissance des musiques modernes, comme cette série de 1968 où le maître dirigeait Stravinsky, Webern, Berg et Bartók avec le courageux Orchestre National de Belgique (la Sonuma conserve la bande de ce concert) avant de les diriger à Londres en 1971. On regrette également que l’évocation de l’évolution du répertoire du chef vers la fin de sa vie soit uniquement basée sur les souvenirs de l’auteur (par ailleurs critique au Figaro) et non sur une analyse précise des archives des orchestres. On regrette de ne pas voir évoquer l’incroyable rencontre entre Boulez et Lang Lang dans un Concerto de Mozart au Festival de Salzbourg 2005... On pointe encore quelques erreurs, principalement dans l’évocation de la discographie du chef.
Le précédent ouvrage boulézien chez Fayard, de la plume de Dominique Jameux, compagnon de route des modernités, était certes daté (1984) et incomplet mais la justesse de son approche, en dépit d’un style souvent hermétique, faisait bien plus mouche que cet ouvrage qui déçoit fortement. La biographie de Boulez définitive est encore à écrire ! On regrette également un manque de cohésion de la collection qui passe d’un très musicologique John Cage à une biographie journalistique de Boulez.
Pierre-Jean Tribot