Marie-Nicole Lemieux : Poésie du voyage

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Schumann, Schubert, Beethoven, Hensel-Mendelssohn, Wolf, Chausson, Fauré, Sévérac, Charpentier, Debussy et Duparc étaient au programme d’un voyage hautement poétique, sublimé par Marie-Nicole Lemieux et Daniel Blumenthal, le vendredi 15 novembre au Théâtre Royal de La Monnaie. Dépassant la simple expression artistique, la voix de la contralto canadienne se laisse conduire par la musicalité des poèmes de Goethe et de Baudelaire. Chaque mot possède une incarnation juste, voire même une propre sémiologie, lorsqu’il est traversé par cet art extrême avec lequel la chanteuse explore les paysages sonores. Chacune des syllabes colore un chant naturel, fluide et sensuel auquel Marie-Nicole Lemieux semble goûter avec un égal plaisir tout au long du récital.

Que ceci relève du mystère ou de la magie, l’incroyable intelligibilité du texte est bel et bien rendue possible par une diction parfaite, assurant les phonèmes avec autant d’énergie que de suavité. Associée à la pureté des sons, cette parole claire et sensible transcende l’interprétation dramatique. C’est donc à travers une vérité profonde, dont le verbe se fait source, que les artistes investissent le voyage. Suspendue sur le souffle, la voix de Marie-Nicole Lemieux respire avec le piano de Daniel Blumenthal, et inversement. Cette complicité se voit et s’entend. Elle participe également à la projection intérieure d’une poésie musicale qui n’en rayonne que davantage dans l’écrin du théâtre, provoquant des applaudissements là où ils n’étaient pas forcément attendus. Construit sur une logique de texte et de concentration, le récital emmène le public dans des lieux intimes qui l’amènent à écouter sa propre respiration, et à réprimer les graillons naissant dans les gorges éraillées (et nues, peut-être, face au silence ?). Marie-Nicole Lemieux d’introduire donc la deuxième partie en signifiant les moments propices où laisser jaillir les ovations, après avoir suggéré au début de la soirée de profiter des moments de pause pour sortir les caramels. Autant de petits tours d’esprit qui reflètent cette joyeuse proximité avec le public que la contralto cultive avec la spontanéité et l’humour que nous lui connaissons bien. Les rigueurs de l’automne n’auront cependant pas eu un seul instant une quelconque incidence ni sur la voix de velours de la cantatrice, ni sur le plaisir du public d’être simplement là. En témoignent les expressions transfigurées de part et d’autre de la scène, et le souvenir de ce moment suspendu dans le silence recueilli, et assumé, « Qui par une invisible pente / Descend jusqu’au fond de mon cœur » (Baudelaire). 

Clara Inglese

Bruxelles, La Monnaie, le 15 novembre 2019

Crédits photographiques : Geneviève Lesieur

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