Portrait croisé du répertoire instrumental et liturgique de Diego Ortiz

par

Caleidoscopio. Diego Ortiz (c1510-c1570) : pièces extraites du Trattado de Glosas ; Motets extraits du Musices Liber Primus. Juan del Encina (1468-1529) : Ay triste que vengo. Antonio de Cabezón (c1510-1566) : Pavana con su glosa ; Diferencias sobre la Pavana Italiana ; Diferencias sobre el Canto del Caballero. Pedro Hernández de Tordesillas (fl 1499-1520) : Franceses ¿por qué rrasón fuistes de Ruysellón ? Hernando de Cabezón (1541-1602) : Dulce Memoriae. Francesco Millán (fl début XVIe siècle) : Dulce y triste memoria. Jacques Arcadelt (1507-1568) : O felici occhi miei. Francisco Guerrero (1528-1599) : Ojos claros serenos. Ginés de Morata (fl XVIe siècle) : Ojos que ya no veis. Rodrigo de Ceballos (c1525-1581) : Ojos hermosos bellos. Francesco Santa Crocce detto Patavino (c1487-1556) : Un cavalier de Spagna. Anonymes : Ay de mi qu’en tierra ajena ; Aquel cavallero madre ; Yéndome y viniendo me fui enamorando. Comet Musicke. Francisco Mañalich, ténor, viole de gambe. Marie Favier, contralto. Aude-Marie Piloz, viole de gambe, superius. Camille Rancière, vihuela de arco, lira de braccio, basse. Cyrille Métivier, cornet, vihuela de arco, contralto. François Joron, ténor. Sarah Lefeuvre, superius, flûte douce. Jan Jeroen Bredewold, basse. Daniela Maltrain, vihuela de arco, superius. Patrick Wilbart, serpent, basse. Laurent Sauron, percussion. Livret en français, espagnol, anglais, breton ; paroles en langue originale et traduction française. 2021. TT 52’14 + 50’17. Éditions Son an ero 18

Confronter l’art instrumental d’Ortiz (le Traité des Gloses de 1553) et le répertoire liturgique de son Musices Liber Primus (1565) permet de « bâtir un kaléidoscope qui dévoile un portrait sonore » de ce Maître de Chapelle du Vice-Roi d’Espagne, selon les mots de Camille Rancière dans le succinct livret. Les Recercadas furent bien servies au disque : dans une veine post-médiéviste, on se rappelle les excursions de l’Atrium Musicae de Gregorio Paniagua (Harmonia Mundi, juillet 1977), mais on pense surtout aux réussites de Jordi Savall en avril 1989 chez Astrée ou récemment Bruno Cocset chez Alpha. Le versant sacré reste toutefois à investiguer, à l’instar du programme marial (Ad Vesperas) de Cantar Lontano dirigé par Marco Mencoboni (SACD Alpha, 2006). L’ensemble Comet Musicke s’est ici penché sur des fac-similés de Bologne et nous en offre une poignée de motets annoncés comme inédits : un somptueux Alma redemptoris Mater drapé dans les violes, Regina celi letare alleluia, Sancta et immaculata virginitas, Benedicta es celorum Regina. Après un premier album consacré à Gilles Binchois et Johannes Ockeghem, l’équipe de Francisco Mañalich nous arrive donc avec ce stimulant programme mixte qui invite aussi d’autres contemporains de la mouvance hispanique.

Le premier CD se place sous l’inspiration de la chanson Doulce mémoire popularisée par Pierre Sandrin (c1490-1560), le second (« Felices Ojos ») sous l’influence du regard et des felici occhi miei de Jacques Arcadelt (1507-1568). Ce diptyque met ainsi en perspective les airs originaux et leur traitement par variation et glose orné de ces « diminutions » typiques de l’époque. Non avare d’audace (la Recercada Primera pour archet, confiée… au sourd serpent qui grommelle aussi dans la Sesta), l’instrumentarium se renouvelle d’une pièce à l’autre, par exemple les cordes pincées pour la Pavana con su glosa de Cabezón, suivi par un Ay de mi qu’en tierra ajena qui valorise serpent et cornet, lequel s’entrelace à la flûte dans la Recercada Quinta. La gouaille d’un Cavalier de Spagna ou d’un ¿por qué rrasón fuistes de Ruysellón? rythmé par le tambour contraste avec les instants recueillis. Les violes et vihuelas de arco tiennent bien sûr une place de choix dans le tissu polyphonique. L’accompagnement se tresse aux pages vocales, conformément à la préface du recueil vénitien de 1565. 

On est presque surpris qu’une anthologie aussi composite, où la Terre jouxte le Ciel, et qu’une réalisation parfois bigarrée coulent avec tant d’évidence : la danse succédant au chant pieux, l’invention se mêlant à l’archaïsme. Par l’humilité et la spontanéité de leur démarche, les polyvalents et talentueux musiciens émeuvent sans ostentation ni dogme. Les voix ne sont pas des plus typées, mais sincères et vivantes. S’en dégage un contact chaleureux et convivial qu’avive une gironde captation dans l’église euroise de Chambray. Tout à l’honneur de Comet Musicke et du label breton qui l’a enregistré : un apport bienvenu à la discographie du Tolédan !

Son : 8,5 – Livret : 7,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

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