Hélène Schmitt se penche sur le Baroque français : l’imagination au pouvoir dans les Sonates de Leclair

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Jean-Marie Leclair (1697-1764) : Sonates à violon seul no 3 en ré majeur, no 6 en ré majeur, no 8 en do majeur, no 10 en fa dièse mineur Op. 9 [Quatrième Livre]. Hélène Schmitt, violon. Jonathan Pešek, violoncelle. Francisco Mañalich, viole de gambe. François Guerrier, clavecin. Livret en français, anglais, allemand. Septembre 2017, juin 2018. TT 68’13. Aeolus AE-10356

La mémoire de nos lecteurs se souviendra peut-être du Joker décerné à l’album « Pièces pour violon & basse continue » (avril 2000), voilà plus de deux décennies dans notre magazine imprimé. L’anthologie consacrée à Ignazio Albertini (1644-1685) avait lui-aussi été saluée par la presse musicale. Après une entrée en scène consacrée à Marco Uccellini (1610-1680), ces deux parutions augurèrent des deux mamelles, italienne et germanique, du répertoire défendu par Hélène Schmitt, au gré d’une discographie régulièrement entretenue. Principalement chez Alpha, jusqu’aux Sonates du Rosaire d’Heinrich Biber, confiées au label Aeolus.

Prolongeant ce remarquable catalogue baroque, la violoniste aborde désormais l’héritage français, par sa figure de proue : Jean-Marie Leclair, dont les quatre recueils de chacun douze sonates, échelonnés en une vingtaine d’années, conférèrent au genre ses suprêmes lettres de crédit, culminant dans le Quatrième Livre de 1743. Dans une forme quadripartite décalquée de la corellienne sonata da chiesa se coule une lumière italienne parfois exubérante mais surtout marquée par l’élégance du ton, le raffinement harmonique, l’inventivité du chant, tout cela dans un creuset stylistique constitutif des « goûts réunis ».

On n’hésitera pas à se plonger dans la longue notice du CD signée par l’interprète elle-même, qui retrace la carrière du compositeur et nous livre de sagaces clés de compréhension de son langage. Rédigée avec une plume toute littéraire et une profonde érudition, cette présentation se démarque par une qualité que l’on rencontre rarement, et une sensibilité très personnelle aux œuvres. Ainsi ces mélodies au vaste souffle qui, selon ces mots, respirent « un parfum de fraises sauvages ».

Un tel texte inciterait à confronter cette conception avec la réalisation enregistrée par l’artiste, qui insiste sur le ma non troppo dont Leclair faisait grand cas, et sur la nécessité de s’interroger sur le tempo. Éviter le trivial, préserver la noblesse, préconisait l’auteur. Pour autant, la recette n’est pas évidente lorsqu’Hélène Schmitt remarque combien « l’énergie, la plasticité des figures rythmiques et une sorte de jubilation participent autant que la pulsation ». L’équation du bien dire se tiraille ainsi dans ce péremptoire Allegro qui introduit le CD, marbré de trémolo et tout claudicant de syncopes. À tort ou à raison, envers une partition déjà si éloquente, l’archet ne ménage pas ses effets, jusqu’au bizarre. « Une violoniste qui lance des notes comme des cris, qui tire de son instrument des tirades, éplorées ou ardentes » observait le regretté Jacques Drillon en juin 2007, cité dans le dossier de presse du website de la soliste.

Globalement, ces propensions dramatiques caractérisent une lecture de haute autorité, volontiers turgescente (voire passagèrement crispée), dont la tension zélée contraste avec le tact homogénéisateur et corseté d’Adrian Butterfield. Quitte à s’aventurer dans des aigus peu amènes dans la Ciaccona qui clôt la huitième Sonate. En tout cas, pareil enthousiasme émoustille les danses : les deux gigues, mais aussi le fringant air de chasse de la troisième Sonate qui apparaît comme la plus réussie du disque. Andante cadré par le sobre clavecin de François Guerrier et les comparses du continuo, tourment de la Sarabande incrusté dans les moirures de viole : l’émotion n’est pas en reste, mais le cantabile, comme dilaté dans une serre tropicale, y semble presque à l’étroit de l’ardent tempérament qui rayonne de l’instrument vénitien.

Au sujet du Troisième Livre par son confrère anglais (Naxos), nous évoquions un château de classicisme bon teint qui relèverait du Petit Trianon. Par son alliance d’intuition organique, d’envolées lyriques, ses colonnades ampoulées, ses exotiques alcôves à secret : la luxuriante rhétorique d’Hélène Schmitt nous ferait plutôt penser au palais du facteur Cheval. Rien moins qu’une critique, tant l’imagination règne en maître, et nous emporte dans sa flamboyante éloquence. Cette leçon de liberté, qui ne laissera quiconque indifférent, se confirmera-t-elle dans la prochaine étape qu’appelle ce stimulant premier volume ?

Son : 8 – Livret : 10 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8,5

Christophe Steyne

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