Pour le premier album des Kapsber’girls : des villanelles de… Kapsberger 

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« Che fai tù ? ». Giovanni Girolamo KAPSBERGER (1580-1651) : Villanelles : Extraits des Livres 1 à 4. Les Kapsber’girls : Alice Duport-Percier, soprano ; Axelle Verner, mezzo-soprano ; Barbara Hünninger, basse de viole ; Albane Imbs, cordes pincées (archiluth, théorbe, guitare baroque et tiorbino) et direction. 2020. Livret en français, en anglais et en allemand. Textes en langue originale avec traduction en trois langues. 64.55. Muso mu-037.

Kapsberger par les Kapsber’girls ? Ce qui ressemble à un malicieux clin d’œil est la première concrétisation discographique du travail accompli depuis 2015 par quatre musiciennes qui ont décidé de jeter un regard transversal sur les œuvres méconnues ou oubliées des XVIIe et XVIIIe siècles en tenant compte des sources historiques ; pour ce projet, elles trouvent de nouvelles passerelles et s’amusent avec le genre. Evoquer l’amusement n’est pas anodin : la couverture du livret et les photographies intérieures nous montrent les Kapsber’girls dans des mimiques et des attitudes enjouées, souriantes et facétieuses, engendrant une sympathie spontanée. Leur choix de Kapsberger pour un premier album ? Logique, puisque ce compositeur né à Venise, dont les origines allemandes lui valurent en son temps le surnom de Nobile Alemano, est l’un des compositeurs favoris de ces quatre jeunes complices. 

La notice bien documentée, signée par Albane Imbs, nous apprend que Kapsberger se rendit à Naples en 1604, où il se maria, avant de se fixer quatre ans plus tard à Rome où ses œuvres (musique vocale sacrée et profane, musique instrumentale) furent publiées. Il y fonda son Académie qui regroupait des intellectuels et se fit vite connaître comme virtuose du théorbe, du chitarrone, du luth et de la trompette. Apprécié par le Pape Urbain VIII, il bénéficia de sa protection et de celle de son neveu, le Cardinal Barberini. Kapsberger se révéla un compositeur polyvalent, ce dont témoigne sa production d’une écriture généralement savante et complexe, mais c’est sa musique pour luth, fréquemment enregistrée, qui est la plus connue. Le présent disque propose une autre facette de ce créateur, à travers une série de villanelles. Cette forme de poésie pastorale simple et légère est directement séduisante à l’oreille, motif pour lequel elle fut très appréciée par le public aristocrate italien, leur côté profane étant d’une approche attrayante pour les amateurs et pouvant donner aux soirées entre amis un côté festif bienvenu. De la musique « populaire », en quelque sorte, avec ce surplus de finesse et d’élégance qui la rend attractive.

Les villanelles apparaissent dans la région de Naples de façon plus courante au XVe siècle et vont avoir du succès pendant au moins deux siècles. Kapsberger en a écrit une collection de sept livres entre 1610 et 1640. C’est une sélection parmi les 83 chansons des quatre premiers recueils (éditions en 1610, 1619 et 1623) que nous entendons ici. Les thèmes évoquent aussi bien la Venise de son enfance que les couleurs de la mer, les campagnes, leurs vallons et leurs sources, la chasse, l’amour sous plusieurs formes, pastorale, intime, délicate, lascive, parfois même douloureuse, suggérant en nous rêverie, nostalgie ou émotion. Cet ensemble de petits bijoux est, dans le cas présent, dévolu à une ou deux voix ; l’investissement et la fraîche séduction interpellent dès le premier air Che fai tù ? (Que fais-tu ?) qui donne son titre à l’album et installe tout de suite un climat de suavité, de chaleur, de subtilité qui va se maintenir tout au long d’un parcours que l’on dirait improvisé au fil des chansons, pour mieux en apprécier le côté raffiné, fervent ou imagé. 

L’ajout des textes, traduits en plusieurs langues, permet d’encore mieux goûter, comme un fruit délectable, chacune de ces musiques inspirées. On soulignera aussi une volonté et une capacité à donner leur place aux mots à travers une prononciation claire et respectueuse. Quant à l’accompagnement instrumental, exemplaire lui aussi, il est représentatif de la pratique de la basse continue avec instruments à cordes pincées. Les plages qui leur sont réservées -dont un détour par Vitali (1632-1692) et son Passa Galli- ajoutent à l’atmosphère enchanteresse globale. Un disque rayonnant, enregistré en trois temps : à Evje, dans la région des minéraux en Norvège, en septembre 2017 et septembre 2018 pour la majorité des villanelles, ainsi qu’à la Cité de la Voix à Vézelay, en janvier 2018, pour trois chansons, dont l’une d’entre elles, Spiega, spiega (« Lève la voile ») évoque la brise qui souffle et insiste sur la « belle aube blanche et vermeille » que ce programme nous offre.

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

 

   

 

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