Premier enregistrement de la Missa Solemnis d’Andreas Hallén : radieux chant du cygne
Andreas Hallén (1846-1925) : Missa Solemnis. Pia-Karin Helsing, soprano. Maria Forsström, contralto. Conny Thimander, ténor. Andreas E Olsson, basse. Lars Nilsson, orgue. James Jenkins, piano. Lars Sjöstedt, célesta. The Erik Westberg Vocal Ensemble, dir. Erik Westberg. Octobre 2019, février-mars 2020. Livret en anglais, texte latin de la messe traduit en anglais. TT 62’39. Swedish Society SCD1178
Même si les rares enregistrements consacrés à ce compositeur émanent principalement de son pays natal (chez les labels Sterling et Musica Sveciae), on peut parier que maints mélomanes ont déjà croisé son nom au détour d’une pochette ou entendu son art ! Car Andreas Hallén, à la demande de l’éditeur berlinois Simrock, orchestra deux des célébrissimes Danses hongroises de Brahms. Sa famille aisée l’envoya étudier à Leipzig (écriture auprès de Carl Reinecke), Munich, Dresde, où le foisonnement des phalanges symphoniques contrastait avec la Suède, dont l’unique équivalent se trouvait à la Cour (Kungliga Hovkapellet), avant la fondation de l’orchestre de Göteborg en 1905. Face à cette carence, et malgré ses efforts pour dynamiser le tissu local, Hallén repartit en Allemagne sept ans après en être revenu. C’est à cette époque qu’il approcha Liszt et en reçut le soutien (le premier de ses quatre opéras, Harald le Viking, représenté à Leipzig en 1881), et qu’il subit l’influence wagnérienne, même s’il s’en démarqua ultérieurement, au gré d’un style où s’équilibrent conservatisme, romantisme et instinct personnel.
De retour en 1884, il passa le reste de sa vie à Stockholm, hormis une parenthèse de cinq ans à Malmö. Quatre décennies qu’il employa à l’enseignement, la critique musicale, la direction de concerts (création de La Walkyrie sur le sol suédois, mais aussi de la Matthäus-Passion de Bach !), et où il s’évertua par trois fois à établir une société philharmonique indépendante de la scène royale. En tant que compositeur, il aborda divers genres, dont la musique de chambre et le poème symphonique, même si en sa patrie le genre symphonique proprement dit s’émancipa postérieurement, avec Hugo Alfvén, Wilhelm Stenhammar et Wilhelm Peterson-Berger. L’importance d’Allén relève surtout de son œuvre lyrique, s’appuyant sur une éminente culture du chant (Palestrina, Lassus, Schütz…) qui courait jusqu’aux gloires contemporaines comme Verdi. Opéras, cantates, lieder, pages chorales a capella ou accompagnées selon différentes guises. Preuve de la popularité de certaines mélodies, on les trouve déjà captées à l’ère du gramophone, notamment Ballad ur Gustaf Vasas saga gravé par Joseph Lycell et John Forsell.
Sorte de chant du cygne, que le compositeur souhaitait pour ses funérailles, la radieuse et sereine Missa Solemnis date de 1922. Elle s’architecture selon les cinq parties conventionnelles de la messe latine. Kyrie et Sanctus emploient le chœur, Gloria et Agnus Dei adjoignent le quatuor vocal, enrôlé sous diverses configurations : solo, en duo ou affrontant la masse choriste. Le Credo central valorise la déclamation du ténor dans une veine opératique. La nomenclature pour orgue coloré de piano et célesta s’explique par une préoccupation pragmatique : la difficulté à rassembler un orchestre en toute circonstance, attestant que l’œuvre visait un large contexte d’exécution et entendait ne pas se limiter à l’audience des grandes villes. Hallén insistait pour qu’elle soit jouée dans une église, non pour de strictes raisons liturgiques, mais aussi de déploiement acoustique. La présentation au public se déroula le 20 novembre 1923 sous les hautes voûtes de l’Engelbrektskyrkan, illustrée en couverture du livret.
Le disque n’a pas respecté ce souhait, en optant pour la salle du Studio Acusticum à Piteå, dont l’ampleur évite toutefois la sécheresse à défaut de réverbération. L’équipe d’une trentaine de chanteurs guidée par Erik Westberg, élève d’Eric Ericson et une des sommités mondiales de la direction chorale, confirme l’excellence suédoise en la matière. Précision polyphonique, puissance des homophonies, justesse, chaleur du timbre. Hormis le Cum sancto spiritu qui manque un peu de fermeté et d’élan, la prestation s’avère exemplaire. Au début du dernier volet, les alternances soprano/contralto, ténor/basse puis quatuor révèlent à nu la qualité des solistes ici réunis. Protagoniste essentiel de la partition, l’orgue n’est pas présenté dans la notice : il s’agit d’un des plus imposants instruments modernes de Scandinavie (environ 90 jeux), inauguré en octobre 2012, construit par Gerard Woehl qui pour l’an 2000 érigea aussi le monumental Bach-Orgel de la Thomaskirche de Leipzig. Au travers ce world premiere recording, saurait-on imaginer meilleure adresse pour découvrir cet opus qui va bientôt fêter son centième anniversaire ?
Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9,5
Christophe Steyne