Premier volet de l’intégrale pour piano  de Germaine Tailleferre, par Nicolas Horvath

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Germaine Tailleferre (1892-1983). Her piano works, revived, vol. 1. Exercice d’harmonie (chant donné par Florent Schmitt), Impromptu, Romance, Pas trop vite, Pastorale (en ré), Fandango, Hommage à Debussy, Très vite…, Petites ouvertures d’airs anciens, Sous le rempart d’Athènes, Sicilienne, Pastorale en la bémol, Pastorale en do, Fleurs de France, Pastorale inca, Pastorale amazone, Berceuse, Suite dans le style ‘Louis XV’, Au pavillon d’Alsace (Deux danses du marin de Bolivar). Nicolas Horvath, piano. 2021. Notice en anglais et en français. 83.21. Grand Piano GP891.

Réhabilitation, comme l’indique l’adjectif anglais du titre de l’album ? Le terme est adéquat, mais « justice rendue » ou « renaissance » conviendraient tout autant pour ce projet annoncé d’une intégrale en trois livraisons de l’œuvre pour piano de Germaine Tailleferre. Associée au Groupe des Six dont elle fut la seule femme (auprès d’Auric, Durey, Honegger, Milhaud et Poulenc), le talent de la compositrice a trop souvent été minimisé par rapport à celui de ses confrères masculins. On ne rappellera pas ici l’aventure commune, somme toute assez brève, de ces jeunes artistes, au début de la décennie 1920, louangée dans le célèbre article du critique Henri Collet qui l’adoubait dans le journal Comœdia du 16 janvier de cette année-là, et servie par Jean Cocteau, qui en fut le théoricien. Mais, l’époque étant ce qu’elle était face aux partitions des compositrices, l’auteur de Thomas l’imposteur reprit un mot d’esprit d’Erik Satie en qualifiant Germaine Tailleferre de « Marie Laurencin pour l’oreille ». Ce qui était plutôt réducteur et condescendant, tant pour l’artiste-peintre aux pastels de style « nymphique » que pour la musicienne. Ce que ne manque pas de regretter l’auteure de la notice, la musicologue Caroline Potter.

Considérer le catalogue de Germaine Tailleferre sous le seul prisme du Groupe des Six serait en effet ne pas faire œuvre de « réhabilitation ». Il faut, comme le fait Nicolas Horvath (°1977), élargir le cadre pour en découvrir l’intérêt longtemps mis sous le boisseau, sort hélas dévolu à trop de compositrices… Le pianiste monégasque, au-delà de ses intégrales de Satie ou de Glass, est un grand défenseur de pages méconnues ; il l’a prouvé à plusieurs reprises, notamment pour d’autres créatrices comme Anne-Louise Brillon de Jouy ou Hélène de Montgeroult. Grâce au présent parcours Tailleferre qui couvre la période 1913 à 1937, on peut cerner des qualificatifs pour définir une écriture souvent consacrée à la petite forme (l’album est découpé en 55 plages pour un généreux minutage global de plus de 80 minutes), au sein de laquelle une claire élégance, une lumineuse légèreté, un raffinement imagé, un charme certain et de dynamiques rythmes affirmés se côtoient. 

On s’en convaincra à l’écoute d’une série de Pastorales, dont les deux des années 1929/30, la seconde étant dédiée à Cortot, affichent l’enjouement puis l’animation d’un mouvement perpétuel, et deux autres, très rythmées, de la même époque, une Pastorale inca, autre mouvement perpétuel, et une Pastorale amazone. D’autres pièces, comme la Romance de 1913, écrite alors que Germaine Tailleferre était encore au Conservatoire de Paris et allait rencontrer, en classe de contrepoint, Auric, Honegger et Milhaud, la vibrante Très vite… de 1921, la Sicilienne de 1930 ou l’ensemble des huit Fleurs de France, publié en 1962, qui forme une gerbe de parfums régionaux, montrent un langage musical à la fois simple complexe qui se nourrit d’une acquisition de l’harmonie classique et d’un modernisme mesuré.

De nombreuses pièces inédites font ici l’objet d’une première discographique. C’est le cas pour un Fandango plein de vitalité de 1920 ou une Berceuse aux accents humoristiques de 1935, mais surtout pour des partitions plus vastes. Tailleferre répond en 1927 à l’invitation de Paul Claudel pour une musique de scène de quinze minutes, destinée au mimodrame Sous les remparts d’Athènes qui célèbre les cents ans de la naissance du chimiste et biologiste Marcellin Berthelot. Le sens théâtral se met modestement au service du texte claudélien. Des compositeurs italiens et français des XVIIe et XVIIIe siècles (Lully, Pergolèse, Scarlatti, Monteverdi, Destouches, Clérambault, Philidor…) servent d’inspiration pour 24 plaisantes Petites ouvertures d’airs anciens, aux accents variés. Une Suite dans le style ‘Louis XV’, autre musique de scène de 1935 pour une pièce de Jean Sarment sur la Marquise de Pompadour, confirme sa capacité d’adapter au XXe siècle les gracieuses finesses du temps passé. 

On écoute avec un réel plaisir ce programme, enregistré en octobre et novembre 2021 et joué avec cœur et conviction par Nicolas Horvath, qui fait œuvre utile. On attend la suite pour appréhender l’héritage pianistique de Germaine Tailleferre dans sa dimension complète.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix    



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