Sonates pour clavier d’Hélène de Montgeroult : impérieuse intégrale en première mondiale

par

Hélène de Montgeroult (1764-1836) : Trois Sonates pour le forte-piano, œuvre première ; Trois Sonates pour le forte-piano, œuvre deuxième ; Trois Sonates pour le piano forte, œuvre cinquième. Nicolas Horvath, piano. Janvier-février 2021. Livret en anglais et français. TT 75’32 + 80’55. Grand Piano GP885-86

Née quelques mois avant la disparition de Jean-Philippe Rameau, Hélène de Montgeroult fait paraître ses premières sonates en même temps que celles de Beethoven, en 1795. On lui en doit neuf, le dernier volume publié en 1811. Elle se consacre alors à la diffusion de sa célèbre méthode de piano (Cours complet), prend de tardives leçons avec Anton Reicha, alors qu’elle était déjà depuis longtemps réputée comme virtuose, mais ne laissera plus d’œuvres marquantes dans les vingt-cinq dernières années de sa vie.

Sa carrière débuta sous les meilleurs auspices : élève de Muzio Clementi, jeune mariée au marquis de Montgeroult en âge d’être son père, coqueluche des cénacles aristocratiques, tel le salon de Madame de La Tour du Pin. La Révolution contraint le couple à l’exil. Monsieur ne reviendra pas de Mantoue, mais son épouse brave la Terreur et revient à Paris où elle est engagée dans ce qui deviendra bientôt le Conservatoire. Elle n’y reste pas longtemps professeur, peu en phase avec la politique éducative. Mais elle enseigne à titre privé et se voit reconnue comme influente pédagogue, avant d’être minée par la maladie et de partir accompagnée de son fils s’éteindre en Italie.

Hormis ses centaines de pièces didactiques (Exercices, Études…), son legs de compositrice repose sur les neuf sonates étagées sur une large décennie, entre 1795 et 1807. Les quatre premières répondent à une structure bipartite, les cinq suivantes se découpent en trois mouvements (avec Adagio ou Andantino central) et même en quatre pour l’opus 5 no 1 introduisant un bref Allegro assai sous guise de menuet. Les appellations spiritoso et con espressione renvoient à un style senti où s’exprime le cantabile associé à la manière de l’auteur. On saluera de précédents enregistrements comme ceux de Bruno Robilliard et Nicolas Stavy (Hortus) ou d’Edna Stern (Orchid, 2017) qui mêlaient des sonates à une galerie de pièces tirées du Cours Complet. C’est toutefois le présent et copieux double-album qui rassemble pour la première fois au disque les neuf sonates, et peut donc se targuer de « première mondiale » pour l’intégrale de ces trois cahiers.

Le livret détaille les influences d’expression et de forme, depuis l’esthétique d’Ancien Régime (Anne-Louise Brillon de Jouy) jusqu’aux sentiments préromantiques, en passant par Mozart et Beethoven et quelques harmonies chopiniennes. Sur un Steinway modèle D, Nicolas Horvath dispense un jeu « réglé court » qui rappelle la sonorité du pianoforte aux basses pneumatiques et au medium mat et riche, sans éclat et peu résonnant. Conformément à cette facture, le soliste ne s’appesantit pas dans les mouvements lents pour mieux en concentrer les parfums. Les sections extrêmes de la sonate en la mineur profitent d’un tactus serré jusqu’à l’impatience, tout comme la véhémence du Prestissimo de la sonate en fa mineur de l’opus 1, ou le Presto de la sonate en sol mineur. Le finale de celle en ut majeur révèle toutefois le dessin précisément et gracieusement ciselé dont est capable Nicolas Horvath. Son jeu net, sanguin et caractérisé contourne les joliesses, il densifie le discours et affermit la complexion de toutes ces pages (au sommet, le digne recueillement de l’Adagio non troppo de la sonate en ré majeur).

La postérité s’entretient par la légende. Fourches caudines : on prétend que Madame de Montgeroult sauva sa tête en improvisant sur La Marseillaise devant un odieux Comité de Salut Public. Ses sonates valent mille fois mieux que l’opportune réaction à ces humiliations supposées. Cet album altier, armé d’un ton et d’une technique des plus sûrs, peut militer tant pour la découverte que la réhabilitation d’une fière dame dont l’histoire du piano se doit de garder trace. On félicite l’initiative du label et la qualité de cette réalisation qu’on ne saurait trop recommander.

Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

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