Première discographique mondiale pour In Exile de Jonathan Dove

par

Jonathan Dove (°1959) : In Exile, pour baryton, violoncelle et orchestre ; Night Song, pour violoncelle et piano. Simon Keenlyside, baryton ; Raphael Wallfisch, violoncelle ; Jonathan Dove, piano ; City of Birmingham Symphony Orchestra, direction Gergely Madaras. 2021. Notice en anglais. 37’ 53’’. Lyrita SRCD.413. 

Le Londonien Jonathan Dove, qui a étudié le piano, l’orgue et le violon, est aussi répétiteur, animateur et arrangeur. Même s’il a inscrit à son répertoire des pages concertantes, il s’est surtout consacré à la voix. Longtemps associé au Festival de Glyndebourne, il a composé une vingtaine d’opéras, parmi lesquels il faut citer Tobias and the Angel (1999) ou The Adventures of Pinocchio (2007). On retiendra aussi l’oratorio There was a Child (2009), ainsi que A Song of Joys, pour chœur et orchestre, qui ouvrait la dernière nuit des Proms en 2010. L’idée d’un concerto pour violoncelle destiné à Raphael Wallfisch a longuement mûri à partir d’une rencontre au Canada lorsque Dove y était compositeur en résidence. Après échanges, il a été décidé qu’en raison de sa longue expérience de la voix, Dove écrirait une partition pour baryton, violoncelle et orchestre, sur des textes de plusieurs auteurs choisis par le librettiste et dramaturge Alasdair Middleton.

La notice de Paul Conway nous apprend que le sujet d’In exile, dont la création a eu lieu à Budapest le 3 septembre 2021 avec Simon Keenlyside et Raphael Wallfisch, et la Philharmonie de Bacau sous la baguette de Jessica Cottis, avant une première anglaise le 9 décembre de la même année à Birmingham, s’inspire de l’histoire familiale des Wallfisch. Le père de ce dernier a quitté Breslau en 1937 avec sa mère et son frère et s’est réfugié en Palestine. La mère de Raphael Wallfisch, Anita Lasker, née en 1925, est une rescapée d’Auschwitz et de Bergen-Belsen : elle a joué comme violoncelliste dans l’orchestre d’Alma Rosé. Elle a publié en 1996 un livre consacré à ces terribles années de persécution. Dove s’est inspiré de ce vécu et a étendu le sujet au thème universel des réfugiés et des exilés loin de leur terre natale. L’œuvre est dédiée à Anita Lasker-Wallfisch ; c’est une commande de 2020 qui émane de l’Orchestre Symphonique de Birmingham. Le présent enregistrement public est l’écho de la création anglaise, avec les mêmes solistes, le Symphonique de Birmingham étant confié à Gergely Madaras, l’actuel directeur musical de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège. 

Les textes retenus pour cette partition d’un peu moins de trente-cinq minutes sont tirés tout d’abord de The Wayfarer, un anonyme anglais du Xe siècle. Un vers de Shakespeare, What country, friends, is this ? issu de La Nuit des rois (il revient à deux reprises), un extrait de Dante, puis de l’Irlandaise Emily Lawless (1845-1913), précèdant un autre passage de The Wayfarer. Un anonyme écossais, le Libanais Khalil Gibran (1883-1931), le poète irano-américain Kaveh Bassiri et Douglas Hyde (1860-1949), écrivain qui fut aussi le premier président de l’Irlande, viennent compléter le choix de Middleton, où le voyage, la solitude et le déracinement tiennent une large place. A partir de cette riche base littéraire, Jonathan Dove imagine la journée d’un réfugié, sa marche dans un pays étranger, le souvenir de sa terre d’origine et de son départ forcé. Viennent s’y mêler la douleur de l’éloignement, de la séparation, et l’incapacité de soutenir son peuple désormais lointain. Rafael Wallfisch a précisé à Paul Conway : Le violoncelle représente l’âme et l’esprit de l’exil, le baryton est le personnage qui chante les textes, qui sont dramatiques. (…) Le violoncelle est un commentateur des paroles chantées et construit les lignes de la mélodie, avec force, colère et souvent brillance.

Cette œuvre a une portée philosophique et sociétale qui n’échappera à personne. Le thème est d’actualité, et il interpelle sur le plan humain. Au niveau musical, le violoncelle de Raphael Wallfisch (°1953) et la voix de Simon Keenlyside (°1959) sont prédominants, avec un orchestre au sein duquel des climax et des soubresauts, en particulier ceux de la percussion, créent un contexte de protestation angoissée. Le violoncelle, dont le son est mis à nu lors de trois séquences qui lui sont réservées, chante éperdument. C’est lui qui ouvre la partition, bientôt rejoint par un orchestre véhément et diversifié et par la voix qui projette les mots avec conviction, force ou dépouillement. Keenlyside, aguerri à l’opéra et à la mélodie, fait plus que suggérer le ressenti de l’exilé ; grâce à son timbre chaud et profond, il incarne l’idée même de l’arrachement. Wallfisch est de son côté tout à fait investi dans ce projet qui le touche de près et dont il transmet le message essentiel avec le son épanoui qu’on lui connaît. Gergely Madaras gère le tout avec équilibre, laissant les deux solistes déployer le contenu de leurs interventions, tout en maîtrisant la substance symphonique distillée par la formation de Birmingham, en belle forme. L’œuvre est forte et violente : les poèmes, cueillis dans un espace temporel d’écriture qui s’étale sur plusieurs siècles, sont symboliques de la permanence tragique du thème, même si le chagrin se mêle à l’amour dans la dernière séquence textuelle.

Une courte pièce d’un peu moins de cinq minutes, pour violoncelle et piano, intitulée Night Song, complète l’affiche. Ce morceau aux accents romantiques poignants, gravé trois mois avant la première d’In Exile, s’inspire de son final et permet à Wallfisch et au compositeur de démontrer leur complicité. Il clôture un disque que l’on pourra estimer trop court (moins de trente-huit minutes), mais quel couplage aurait-il pu être proposé ?   

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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