Première gravure en CD des Suites pour orchestre de Moszkowski
Moritz MOSZKOWSKI (1854-1925) : Musique orchestrale, volume 2 : Suites d’orchestre n° 2 op. 47 et n° 3 op. 79. Jakub Haufa, violon ; Zuzanna Elster, harpe ; Damian Skowronski, orgue ; Sinfonia Varsovia, direction Ian Hobson. 2019. Livret en anglais. 68.00. Toccata Classics TOCC 0557.
S’il fut un virtuose du piano de grande réputation lors de ses tournées européennes, Moritz Moszkowski fut aussi un chef d’orchestre que Londres réclamait régulièrement, et un compositeur de talent. Au cours des derniers mois, nous avons évoqué dans ces colonnes un superbe récital de compositions pour le clavier signé par la Japonaise Etsuko HIrose, paru chez Danacord, ainsi qu’un CD polonais NFM qui proposait, par le West Side Sinfonietta, des pages pour cordes et une transcription des Cinq danses espagnoles pour piano qui le rendirent célèbre. Mais hormis son Concerto pour piano qui a connu l’un ou l’autre enregistrement, son œuvre orchestrale, quoique fournie, est en fin de compte peu connue et peu fréquentée. Le label Toccata en a entrepris une édition. Le premier volume de la série, paru récemment, était consacré au poème symphonique Jeanne d’Arc, une vaste fresque épique de 1876, en quatre mouvements, qui retrace le destin tragique de la Pucelle d’Orléans. Il était interprété par le Sinfonia Varsovia sous la direction de Ian Hobson. Le deuxième volume, confié aux mêmes musiciens, s’attache à deux des Suites pour orchestre. Il s’agit d’une première discographique pour la Suite n° 2, et d’une première en digital pour la Suite n° 3, cette œuvre ayant été gravée à l’ère du microsillon par l’Orchestre de Louisville, pour le label de cette maison, sous la direction du chef mexicain d’origine hongroise Jorge Mester.
Moszkowski a composé trois Suites pour orchestre entre 1885 et 1907. La Suite n° 2 est datée de 1890 ; le compositeur en donna lui-même la première le 27 février, à l’occasion d’un concert organisé à Leipzig par l’éditeur de musique C.F. Peters, au cours duquel Edvard Grieg dirigea aussi des fragments de son opéra inachevé Olav Trygvason. En fin de compte, cette Suite fut publiée à Breslau et jouée en public par l’Orchestre Philharmonique de Berlin le 12 mars, sous la baguette du compositeur, avant d’être applaudie trois mois plus tard à Londres. La partition est dédiée au pianiste et chef d’orchestre Hans von Bülow ; divisée en six parties d’une durée globale d’une quarantaine de minutes, elle est destinée à un grand orchestre, avec une harpe dans le Prélude et un orgue qu’on retrouvera dans la Fugue qui suit. Moszkowski a reconnu lui-même que cette belle partition aux accents éloquents est sous l’influence de Wagner, mais aussi de Joachim Raff, décédé en 1882, dont les vastes symphonies l’avaient impressionné. La notice très détaillée du livret, signée par Martin Eastick, signale que cette Suite préfigure aussi dans son final les musiques de films hollywoodiens des années 1930-40. Dans le Prélude, les bois introduisent un motif mélancolique qui progresse peu à peu pour traverser tout l’orchestre avant que la harpe n’intervienne dans une cadence serrée, avant de se joindre au violon solo. L’orgue fait alors son entrée, furtivement ; bientôt, il s’installera de manière cérémonieuse. Dans la Fugue, l’orgue poursuit son intervention, dans un contexte dramatique, après des passages mélodiques au cours desquels les bois et le violoncelle alimentent la tension qui augmente. Superbes moments d’orchestre, prolongés par un Scherzo aux couleurs chaudes et un Larghetto à la fois apaisé et vibrant de passion. L’architecture est vaste et contrastée. Le cinquième mouvement, un Intermezzo : Allegro con moto fait la part belle aux cordes et aux bois dans de grandes envolées orchestrales. L’œuvre se conclut par une Marche vibrante. L’auteur de la notice n’hésite pas, avec raison, à y voir les prémices du Cockaigne d’Elgar, écrit dix ans plus tard. Cette Suite est une partition chatoyante et valeureuse, d’inspiration romantique, qui ne déparerait pas l’affiche de maints concerts en mal de renouvellement.
La Suite n° 3 a été composée en 1908. Moszkowski s’est installé définitivement à Paris en 1897, après son divorce difficile avec la sœur de Cécile Chaminade. Une épreuve terrible l’y attend : le décès en 1906 de sa fille de 17 ans. Pourtant, cette Suite n° 3 de 1908, de dimensions plus modestes, en quatre mouvements, apparaît comme celle d’une nature apaisée. Moszkowski la dédie au compositeur et violoniste polonais Alexander Birnbaum (1878-1921), alors à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Lausanne. Comme dans son autre Suite, le compositeur écrit des mélodies gorgées de passion, dans une écriture orchestrale qui met en valeur les cuivres et les bois. L’inspiration est toujours romantique, certes, mais elle est aussi subtile. C’est notamment le cas dans le Molto moderato sous-titré « La note obstinée », un do dominant, le tout baigné dans une belle substance sonore. Une Valse finement gracieuse rappelle avec éloquence le virtuose du piano qu’était Moszkowski, tandis qu’un Allegro deciso enlevé clôture cette page ludique.
Ces deux partitions, à la fois élégantes et racées, méritent mieux que l’oubli dans lequel elles sont tombées. Elles sont le témoignage d’une écriture habile dont le charme et l’agrément sont évidents. Le Sinfonia Varsovia est à l’aise dans ce répertoire. Cette phalange existe depuis 1984, époque où Yehudi Menuhin est allé en Pologne pour une tournée comme soliste et chef d’orchestre. Des musiciens venus de tout le pays se sont joints à l’Orchestre de Chambre de Pologne pour accompagner dignement le virtuose ; le succès fut tel que le Sinfonia Varsovia a poursuivi son activité, Menuhin en devenant le chef principal invité. Penderecki, puis Minkowski en ont pris la direction musicale en 1997. Ici, c’est l’Anglais Ian Hobson qui officie, comme c’était déjà le cas pour le pour Jeanne d’Araniste, Ce pianiste, dont le répertoire s’étend du baroque au contemporain, avec une préférence pour le romantisme, est aussi chef d’orchestre et invité à se produire régulièrement avec diverses formations. La phalange et son meneur de jeu s’investissent totalement dans les partitions de Moszkowski auxquelles ils confèrent une dimension et un souffle qui les servent avec l’éloquence requise. Les enregistrements ont été effectués en octobre et novembre 2019, à Varsovie, dans le Studio de concert Witold Lutoslawski de la Radio polonaise.
Son : 9 Livret : 10 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix
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